Rainer Maria Rilke, Lettres à une jeune femme

Par |2025-05-06T08:03:11+02:00 6 mai 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Rainer Maria Rilke|

On con­naît de Rilke les Let­tres à un jeune poète mais beau­coup moins ses  Let­tres à une jeune femme dont l’intégralité est aujourd’hui pub­liée, pour la pre­mière fois, en français. Le célèbre poète a répon­du entre 1919 et 1924 à du cour­ri­er que lui adres­sait une jeune Alle­mande con­fron­tée à de lour­des dif­fi­cultés per­son­nelles. Cet échange révèle un Rilke atten­tif et bien­veil­lant, mais jamais don­neur de leçons.

Elle a 26 ans quand elle adresse sa pre­mière let­tre à Rilke (il a 44 ans). Cette incon­nue s’appelle Lisa Heise. La jeune femme avait décou­vert en 1902 Le livre des images du poète et en avait été mar­quée. Quand elle engage cette cor­re­spon­dance, elle vit dans la pré­car­ité. Ses « petits boulots » – comme on le dirait aujourd’hui – d’horticultrice et de pianiste ne lui per­me­t­tent pas de vivre décem­ment. Elle vient aus­si de divorcer.

Sa pre­mière let­tre met d’ailleurs en exer­gue les dif­fi­cultés de rela­tion entre l’homme et la femme. « Tout ce dis­cours sur la libéra­tion du monde, écrit-elle, n’est-il pas vain tant que la jus­tice reste incom­plète dans les rela­tions entre l’homme et la femme ? L’homme ne devrait-il pas aus­si  au fonde­ment de sa vie intérieure respecter une image de l’amour qui ne soit pas entachée de tant d’erreur ? Pourquoi est-il si mal pré­paré à l’amour ? ». Rilke lui répond, dans une let­tre du 30 août 1919 et abonde dans son sens, soulig­nant que « l’homme ne répond à l’amour et à la vérité de son amante que par une ébauche d’amour inac­com­plie ». Il dit même de l’homme qu’il est « cet aveu­gle, ce forcené qui veut faire le tour du monde et ne réus­sit pas même à par­courir le chemin qui mène autour d’un cœur ».

Comme le rap­pelle  Gérard Pfis­ter, édi­teur et tra­duc­teur de ces let­tres, Rilke « n’a jamais cessé de s’interroger sur l’amour et sur ces grandes amoureuses – de Sap­pho à Gas­para Stam­pa – qui l’ont porté ». Et il ajoute : « Pour le poète des Ele­gies, il y a une intime par­en­té entre l’amour le plus pro­fond et la plus haute poésie ». C’est sûre­ment ce qu’avait perçu la jeune Lisa Heise en prenant le par­ti de s’adresser à Rilke.

Rain­er Maria Rilke, Let­tres à une jeune femme et autres écrits sur l’amour, Arfuyen, 165 pages, 17 euros.

Comme le rap­pelle  Gérard Pfis­ter, édi­teur et tra­duc­teur de ces let­tres, Rilke « n’a jamais cessé de s’interroger sur l’amour et sur ces grandes amoureuses – de Sap­pho à Gas­para Stam­pa – qui l’ont porté ». Et il ajoute : « Pour le poète des Ele­gies,il y a une intime par­en­té entre l’amour le plus pro­fond et la plus haute poésie ». C’est sûre­ment ce qu’avait perçu la jeune Lisa Heise en prenant le par­ti de s’adresser à Rilke.

Une pre­mière pub­li­ca­tion de cette cor­re­spon­dance (lim­ité à 9 let­tres) eut lieu en 1930, soit qua­tre ans après la mort du poète. Mais il fal­lut atten­dre 1934 pour con­naître l’identité de la jeune femme avec la pub­li­ca­tion de ses pro­pres let­tres. L’occasion pour elle d’évoquer « une rela­tion humaine des plus fécon­des et des plus exal­tantes ». Il faut dire que la cor­re­spon­dance ne s’est pas can­ton­née au strict domaine de l’amour humain ou des rela­tions homme-femme. Elle abor­de aus­si la ques­tion des périls qui mon­tent à nou­veau dans le monde alors qu’on sort tout juste de la Grande guerre. Rilke évoque notam­ment le cas de cette Alle­magne qui « ne s’est pas fon­da­men­tale­ment renou­velée et repen­sée » (let­tre du 2 févri­er 2023).

Mais l’essentiel tourne quand même autour de l’attention que porte Rilke aux tribu­la­tions de la jeune femme. Il peut s’apitoyer quand le sort lui est con­traire ou, au con­traire, se réjouir quand elle trou­ve un vrai tra­vail dans l’horticulture près de Weimar. « Ah, croyez-moi, c’est beau­coup, c’est presque tout ce qui peut être accordé à un être : cette soumis­sion, cette sujé­tion à un tra­vail tan­gi­ble … » (let­tre du 27 décem­bre 1921). Et il en vient à regret­ter lui-même qu’il lui « manque le savoir-faire et l’économie des gestes » et cette capac­ité de « pass­er du tra­vail de l’esprit à un tel tra­vail manuel » (let­tre du 19 mai 1922).

Il n’y a que 9 let­tres de Rilke dans cette cor­re­spon­dance mais elles ne man­quent pas d’étonner par leur pro­fondeur d’analyse et l’empathie qu’elles révè­lent (surtout quand l’on sait que le poète ne ren­con­tra jamais son inter­locutrice). Il lui dédi­cac­era même un poème d’amour. « Etre la fleur qui se sent bousculée/par l’incessant assaut du ruis­seau sans malice/qui n’a souci d’elle quand sa hâte distraite/et trop pré­cip­itée la retourne//Ah, c’est ain­si que nous sommes livrés/au bruisse­ment impétueux des émo­tions ;/se soucient-elles de nous ? … Etre au monde/compense cepen­dant ce trop-plein de hasards ».

Présentation de l’auteur

Rainer Maria Rilke

Rain­er Maria Rilke (René Karl Wil­helm Johann Josef Maria Rilke) est un écrivain autrichien qui grandit en Alle­magne. Son père offici­er  souhaite qu’il mène une car­rière mil­i­taire. Il l’en­voie pen­dant cinq ans dans les écoles mil­i­taires de Saint-Pöl­ten et de Mährisch-Weisskirchen. 

A Prague, Munich et Berlin, il étudie le droit et le com­merce et pub­lie des textes en prose et des poèmes, comme “Pour ma joie”. 

Il noue des ami­tiés avec Auguste Rodin, dont il est le secré­taire, et Mari­na Tsve­taie­va, avec qui il cor­re­spond. Pen­dant deux ans, Rilke entre­tient une liai­son tumultueuse avec la pein­tre Lou Albert-Lasard.

La guerre de 1914–1918 est pour Rilke une cru­elle épreuve.  Il reprend ensuite sa vie errante, revient à Paris en 1920 puis se réfugie dans le Valais. 

En 1926, il se pique avec les épines d’une rose qu’il vient de couper. Quelque temps après, Rain­er Maria décède d’une leucémie au sana­to­ri­um de Val­mont refu­sant les soins thérapeu­tiques. Il est inhumé à Rarogne dans le can­ton du Valais.

Bibliographie 

Drames

  • Main­tenant et à l’heure de notre mort… (1896).

Poésie en allemand

  • Vie et chan­son (1894).
  • Dans l’at­tente du chemin de la vie (1896).
  • Offran­des aux lares (1895), poésie.
  • Couron­né de rêve (1896), poésie.
  • Pour le gel mati­nal (1897).
  • Avent (1898).
  • Sans présent (1898).
  • Vers la vie (1898).
  • Le Livre d’im­ages (1899).
  • His­toires Pragois­es (1899).
  • La Chan­son de l’amour et de la mort du cor­nette Christophe Rilke (1904).
  • Le Livre des heures (1905) réu­nit les trois livres : de la vie monas­tique (écrit en 1899), du pèleri­nage (écrit en 1901), de la pau­vreté et de la mort (écrit en 1903).
  • Nou­veaux poèmes (1907).
  • Requiem (1909).
  • La Vie de Marie (1913).
  • Rumeur des âges (1919).
  • Élé­gies de Duino (1922).
  • Son­nets à Orphée (1922).
  • Poèmes à la nuit (1976), écrits entre 1913 et 1916).

Poésie en langue française

Poèmes anthumes

  • Verg­ers (écrits en 1924, pub­liés en 1926 aux Édi­tions de la Nou­velle Revue Française.
  • Qua­trains Valaisans.

Publications posthumes

  • Les Ros­es (pre­mière pub­li­ca­tion en 1927.
  • Les Fenêtres, dix poèmes de Rain­er Maria Rilke illus­trés de dix eaux-fortes par Bal­a­dine (1927).
  • Poèmes français (1944, con­tient Verg­ers, Qua­trains valaisans, Les Ros­es, Les Fenêtres, Car­net de poche).
  • Ten­dres impôts à la France (écrits en 1924) pub­lié dans : Rain­er Maria Rilke (préf. Philippe Jac­cot­tet), Verg­ers suivi d’autres poèmes français, Gal­li­mard,

Nouvelles

  • Au fil de la vie (1898) ;
  • His­toires du bon Dieu (1900). 
  • Print­emps enchan­té et autres réc­its. Traduit et pré­facé par Pierre Deshuss­es. Paris, Rivages, 2022. 

Journaux

  • Jour­nal de West­er­wede et de Paris, 1902. Traduit de l’alle­mand, présen­té et annoté par Pierre Deshuss­es, Paris, Rivages 2001. 

Essais

  • Geld­baum (1901).
  • Sur Rodin (1903).
  • Notes sur la mélodie des choses (1955–1966, 2008 pour la trad. française), Paris, Allia, 64 p.
  • La Mélodie de l’amour et de la mort du cor­nette Christoph Rilke (édi­tion bilingue, traduit de l’alle­mand par Roland Cras­tes de Paulet), Paris, Allia,

Correspondance

  • Let­tres à un jeune poète (Leipzig, Insel, 1929); recueil de dix let­tres adressés à Franz Xaver Kap­pus de 1903 à 1908, tra­duc­tion : Rain­er Biemel et [Bernard Gras­set qui les pub­lia en y ajoutant des Réflex­ions sur la vie créa­trice (1937, puis 1978); tra­duc­tion nou­velle par Claude Mouchard et Hans Hart­je pub­liée avec Pros­es et Poèmes français, Le Livre de Poche, 1989.
  • Six let­tres à A. A. M. Stols (1943).
  • Briefe über Cézanne (1952).
  • Let­tres à une amie véni­ti­enne (1985, en français).
  • Let­tres à une musi­ci­enne. Cor­re­spon­dance avec Ben­venu­ta (échanges épis­to­laires avec Mag­da von Hat­ting­berg). Trad. de Pierre Deshuss­es, éd. Maren Sell / Cal­­mann-Levy, 1998.
  • Let­tres à une jeune poétesse (échanges épis­to­laires avec Ani­ta For­rer), posthume, trad. fr. Alexan­dre Plateau et Jeanne Wag­n­er, Bouquins, coll. “Lit­téra­ture”, 256 p., 2021.
  • Sa vie est passée dans la vôtre : Let­tres sur le deuil, posthume, trad. fr. Micha Venaille, Les Belles Let­tres, coll. “Domaine étranger”, 140 p., 2022.

Éditions françaises

Œuvres complètes en français

  • Œuvres I, Prose, édi­tion établie et présen­tée par Paul de Man, Paris, éd. du Seuil, 1966 (nom­breuses rééditions).
  • Œuvres II, Poésie, édi­tion établie et présen­tée par Paul de Man, Paris, éd. du Seuil, 1972 (nom­breuses rééditions).
  • Œuvres III, Cor­re­spon­dance, édi­tion établie par Philippe Jac­cot­tet, tra­duc­tion de Blaise Briod, Philippe Jac­cot­tet et Pierre Klos­sows­ki, Paris, éd. du Seuil, 1976 (nom­breuses rééditions).
  • Œuvres en prose (Réc­its et essais), édi­tion sous la dir. de Claude David avec la coll. de Rémy Colom­bat, Bernard Lortho­l­ary et Claude Por­cell, Paris, Gal­li­mard, Bib­lio­thèque de la Pléi­ade, 1993 (rééd. 2002).
  • Œuvres poé­tiques et théâ­trales, édi­tion sous la dir. de Ger­ald Stieg (avec la par­tic­i­pa­tion de Claude David pour les “Œuvres théâ­trales”), tra­duc­tions de Rémy Colom­bat, Jean-Claude Cre­spy, Dominique Iehl, Marc de Lau­nay, etc. Paris, Gal­li­mard, Bib­lio­thèque de la Pléi­ade, 1997.

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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