Cypris Kophidès, Ce monde en train de naître

Par |2025-09-06T07:25:57+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Critiques, Cypris Kophidès|

Cypris Kophidès saisit le drame con­tem­po­rain des réfugiés pour nous pro­pos­er un réc­it poé­tique sur les désas­tres de l’exode et les douloureuses recon­struc­tions après les trau­ma­tismes subis. Le per­son­nage d’Anna est ici la poignante fig­ure de toutes ces femmes et de tous ces hommes bal­lot­tés par l’histoire. La poétesse, pour nous par­ler de ce drame, alterne habile­ment dans son réc­it des pas­sages en vers et en prose.

Anna a fui son pays comme d’autres, sous d’autres cieux ou à d’autres épo­ques, ont fui la Grèce des colonels, le Chili de Pinochet, la Syrie d’Assad, ou fuient aujourd’hui l’Afghanistan des tal­ibans ou la Russie de Pou­tine. Anna fuit la guerre. La voici engagée, nous dit Cypris Kophidès, dans une « inter­minable marche/sous le gris cen­dre des nuages », dans « le fra­cas des bombes ». Avec, à l’horizon, « les fumées rouge et noir des incendies » et, tout près, « les aboiements des ordres criés ». Anna est une artiste. Dans son pays, elle peignait. Elle cuisi­nait aus­si. Anna fuit. Elle se sauve. La voici enfin à l’abri. « La guerre est là-bas au loin/ mais cogne tou­jours dans les entrailles ». Dans sa folle tra­ver­sée, un vers du poète grec Yan­nis Rit­sos l’apaisait : « La paix est un verre de lait chaud et un livre posés devant l’enfant qui s’éveille ».

Dans ce pays où elle arrive et qui n’est pas en guerre, il y a Lucia et François qui tien­nent une brasserie et qui l’accueillent. Deux bons samar­i­tains qui « cherchent avec elle des loca­tions ». De fil en aigu­ille, des liens se tis­sent avec des femmes qui « vien­nent d’ailleurs » et qui « elles aus­si ont franchi des fron­tières ». Anna respire. Elle pour­ra même, bien­tôt, expos­er des pein­tures. Mais peut-on vrai­ment se guérir du mal­heur ? La voici hap­pée métaphorique­ment par une forêt, « un monde aux lois obscures/ un monde sur­gi des pro­fondeurs noires/de la terre ». Mais Anna sur­mon­tera l’épreuve, se libér­era pro­gres­sive­ment de ce fardeau. Le réc­it de Cypris Kophidès laisse entrevoir, au bout de la nuit, une forme de résilience après son « périple intérieur ». Anna se réc­on­cilie avec le monde. Elle décou­vri­ra même l’amour.

Cypris Kophidès, Ce monde en train de naître, Dia­base, 128 pages, 16 euros.

A tra­vers ce por­trait de femme, Cypris Kophidès nous par­le, certes, d’une grande tragédie con­tem­po­raine et de ses impass­es, mais elle laisse poindre de bout en bout, à tra­vers son per­son­nage, la force du désir. Tout est sans doute pos­si­ble, en dépit du mal­heur, « tant que la poésie n’aura pas dit son dernier mot » (comme le dit Marc Baron dans son dernier livre). Et d’ailleurs la voix des poètes n’en finit pas de réson­ner dans son réc­it poé­tique. Elle cite Khalil Gibran : « La terre est ma patrie, l’humanité ma famille ». Ou encore le grec Odysséas Elytis : « Voilà pourquoi j’écris. Parce que la poésie com­mence là où la mort n’a pas le dernier mot ». Née d’un père grec et d’une mère française, Cypris Kophidès a de solides références.

Présentation de l’auteur

Cypris Kophidès

Née d’un père grec et d’une mère française à Tours, Cypris Kophidès vit son enfance dans la cam­pagne tourangelle.

La pas­sion de la lec­ture s’affirme à ses qua­torze ans avec la décou­verte de la bib­lio­thèque famil­iale – sa mère est une lec­trice – et surtout de la bib­lio­thèque du lycée, et ne la lâchera plus..

De for­ma­tion psy­ch­an­a­ly­tique et lit­téraire, elle développe très vite un vif intérêt pour le monde intérieur, sen­si­ble, « l’âme humaine ».

Elle décou­vre l’œuvre de Dos­toïevs­ki, Novalis et le roman­tisme alle­mand, le sur­réal­isme et sa façon à la fois rad­i­cale, ludique et provo­cante de ques­tion­ner le monde.

Des voy­ages en Scan­di­navie et en Islande lui font décou­vrir une rela­tion plus intime à la nature.

Etudes de Let­tres mod­ernes et une thèse de doc­tor­at sur l’image fémi­nine, André Bre­ton et le surréalisme.

Elle se tourne con­join­te­ment vers l’ésotérisme, étudie les proces­sus de div­ina­tion, des astres aux arcanes, et la dynamique des rêves.

Cette inter­ro­ga­tion sur le « des­tin » l’entraîne vers l’étude de l’œuvre de Jung, et plus large­ment de la psy­ch­analyse qu’elle exercera quelques temps.

La pein­ture devient un sup­port d’expression qui demeure, plus ou moins investi, selon les péri­odes, tan­dis que l’écriture s’inscrit dans une con­ti­nu­ité, comme une néces­sité, avec ou sans publication.

Bibliographie

Elle est l’auteure de deux recueils de poèmes en prose pub­liés aux Edi­tions Guy Cham­bel­land, A Échos mul­ti­ples (1979) et La Nuit tra­ver­sière (1983).

Aux édi­tions la Tem­pérance, elle a écrit et édité une mono­gra­phie sur l’artiste pein­tre Philippe Gouret, L’éternité Végé­tale (1993), avec Yan­nick Pel­leti­er et Serge Hutin.

Éditrice chez Dia­base depuis 1995 aux côtés d’Yves Bescond, elle a rédigé divers­es intro­duc­tions, réal­isé plusieurs entre­tiens, avec Joce­lyne Ollivi­er-Hen­ry, Charles Juli­et, Georges Bah­go­ry et Yvon Le Men.

Entre 1998 et 2003, elle ani­me des sémi­naires sur l’eau, la terre, le feu et l’air, dans une per­spec­tive sym­bol­ique et ana­ly­tique, et illus­tre chaque séance par la vie de héros de la mytholo­gie grecque. Chi­ron le cen­tau­re, pro­tag­o­niste de son dernier livre « Vingt-deux petits soleils » est l’un d’eux».

Dans L’Enfant de Trébi­zonde (2015, Dia­base), elle ques­tionne l’origine. Entre vérité et fic­tion, ce réc­it emprunte à la poésie comme au théâtre. En févri­er 2019, L’Enfant de Trébi­zonde parait en langue grecque, traduit par Dim­itris Daskas, aux Edi­tions Tsoukatos. (Το παιδί από την Τραπεζούντα). Une adap­ta­tion théâ­trale est en cours.

Dans Vingt-deux petits soleils (2019, Dia­base), Cypris Kophidès met en scène Chi­ron, le docte Cen­tau­re. Proche de la mort, il racon­te à un jeune enfant fuyant la guerre les moments de bas­cule de sa vie : La fas­ci­na­tion de la force, la ren­con­tre amoureuse, l’échange silen­cieux avec le paysage.

Auteure d’articles dans dif­férentes revues, elle a écrit récem­ment « Ni plus ni moins : les Haïkus de Kati­na Vla­chou » pour la revue belge « Tra­ver­sées » et la revue grecque « Péri Ou », (octo­bre 2018), « Migrant » dans l’ouvrage col­lec­tif « Les Algo­rithmes de l’étrangéité », Col­lec­tion Psy­ch­analyse et Anthro­polo­gie du CIPA (L’Harmattan, automne 2018), et « La chose » dans l’ouvrage col­lec­tif « Frater­nelle­ment Charles Juli­et » (avril 2019, Jacques André Edi­teur) en hom­mage à l’écrivain.

L’interrogation sur le des­tin, l’acceptation de soi, la méta­mor­phose, la réc­on­cil­i­a­tion avec les forces de la nature, la vio­lence et la place pos­si­ble de la beauté, autant de thèmes qu’elle n’a de cesse de ques­tion­ner, aus­si bien dans ses entre­tiens, que dans ses romans et ses récents arti­cles. A chaque nou­veau sujet, l’écriture pro­pose un nou­veau voyage.

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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