La sai­son frag­ile d’Estelle Fen­zy évoque, dans de très courts poèmes, ces moments de la vie où l’on trem­ble un peu sur ses bases : parce qu’un père meurt ou parce qu’un enfant prend son envol. La poète le dit en mots pesés, retenus, fidèle à cette écri­t­ure limpi­de qu’on avait déjà relevée en 2015 et 2019 dans Chut (le mon­stre dort) et La minute bleue de l’aube, deux livres égale­ment pub­liés à La Part Commune.

« L’absence/un silence très fort/avec la nuit autour », écrit Estelle Fen­zy. Oui, faire le deuil. Faire aus­si advenir le poème. « Ecrire vient/de la perte/et du manque ». Estelle Fen­zy pleure un père dont la fig­ure imprègne encore les lieux où il  a vécu. « Maman a gardé/ta chemise blanche/c’est un peu ton ombre/pliée dans l’armoire ». On croit par­fois enten­dre Chris­t­ian Bobin quand elle imprègne de mer­veilleux l’instant le plus banal. « Pluie sur le jardin/une princesse dans le ciel/crache des per­les et des pétales/à cha­cun de ses mots ».

Dans ce monde trans­fig­uré par le regard du poète, il y a la con­science aiguë d’un dia­logue ouvert avec les dis­parus. « Parfois/mes vivants et mes morts/font une étrange famille//une con­ver­sa­tion du dimanche/autour d’une table d’absence ». Plus frap­pant encore, ce sen­ti­ment d’une présence éter­nelle der­rière le rideau des instants les plus fam­i­liers. « Peut-être/les âmes des morts/attendent au fond des tasses//d’être bues d’être reconnues ».

 Estelle Fen­zy, Une sai­son frag­ile, La Part Com­mune, 105 pages, 13,90 euros.

S’il y a la mort et la con­science d’une perte irrémé­di­a­ble, il y a aus­si ce qu’on appelle les petites morts. Estelle Fen­zy s’en fait l’écho en par­lant de ce qui l’étreint quand un enfant quitte le nid famil­ial et part vivre sa vie. « On tisse des cordons/que l’on coupe au matin/sur le tar­mac brûlant/d’une same­di de juin ». Le signe de la main, au moment du départ, ravive des visions d’enfance. « Ta main menue/si longtemps dans la mienne/me fait signe de loin ».

 Alors il faut bien alléger les jours. « Faire comme si », racon­te Estelle Fen­zy dans une série de petits textes inau­gurés, chaque fois, par cette expres­sion. « Faire comme si », c’est par­fois recon­naître quelques petits men­songes que l’on se fait à soi-même ou s’avouer tous ces vœux pieux que l’on se for­mule sans illu­sion. « Fais/comme si/le ciel de traîne//emmenait dans/sa robe de reine//les frimas les pluies/les cha­grins aussi ».

A pro­pos de ciel de traîne, Estelle Fen­zy a trou­vé dans la ville de Brest, où elle a vécu huit ans, une ambiance à la mesure des sen­ti­ments con­tra­dic­toires qui peu­vent la tra­vers­er. Dans cette ville (où, selon la for­mule con­sacrée, il fait beau plusieurs fois par jour), « les gris/s’ajoutent aux gris//un seul rayon/et c’est sur la mer/un éclat sans fond ». Les Brestois ne man­queront pas d’être sen­si­bles à ce regard à la fois juste et décalé sur la grande cité du Ponant.

Présentation de l’auteur

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur