1

Traversée de Marie-Hélène Lafon

     Marie-Hélène Lafon écrit des bijoux de petits livres. Son Album (Buchet-Chastel, 2012) était déjà une pépite. Elle le confirme avec sa Traversée. Invitée par une petite maison d’édition à composer un texte inédit en s’inspirant de ses paysages familiers, « qu’ils soient intimes ou géographiques », elle nous livre un texte merveilleux sur son Cantal natal et sa traversée de l’enfance et de l’adolescence.

     Pas la peine d’être né natif d’Auvergne pour saisir toutes les finesses et les subtilités de ce texte en prose à propos d’un pays (la poésie y affleure à chacune des pages). Il suffit d’avoir un peu de terre collée à ses semelles, d’avoir su humer à fond l’air de son propre pays et d’en être imprégné pour la vie entière. Bretons, Normands ou Ligériens, on ne manquera pas de se reconnaître dans ce livre qui sent bon les herbages et nous dit, avec justesse, ce que sont les racines. Les vraies. « Rien ne m’appartient, écrit l’auteure, et tout me parcourt de ce dérisoire trésor d’un pays que sont le nom et le goût et le grain des ruisseaux et des rivières, des gens et des maisons, des prés et des bois, des bêtes et des nourritures ».

     Marie-Hélène Lafon est fille de paysans. Là-bas, à 1000 mètres d’altitude, sous le puy Mary, du côté d’Aurillac. Elle a fait les foins. Elle a conduit les vaches au champ. Chaque dimanche après-midi, la jeune collégienne disparaissait dans la nature (la vraie) avec les chiens de la ferme. Aujourd’hui elle peut écrire : « Je sais, je sens, ça s’impose, que tout ce vaste corps du pays, souple et couturé, avec la rivière, les prés, les bois, et par-dessus le ciel tiré tendu comme un drap changeant, je sens que tout ça était là avant moi, avant nous, et continuera après moi, après nous. »

     Car un pays, même vénéré, on peut le quitter. La jeune Marie-Hélène le sait, le pressent. On le lui dit à demi-mot. « Le pays premier peut être une prison, écrit-elle, peut-être un royaume suffisant, une source vive, un trésor. Je ne sais pas bien où passe la frontière entre la chance et le risque, le partir et le rester, l’attachement et l’arrachement ».

     Marie-Hélène Lafon partira. Elle deviendra enseignante de Lettres classiques à Paris. Et aussi écrivain. Tellement attachée à son terroir, elle a un moment voulu prendre le pseudonyme de Santoire, du nom de cette rivière « qui coule au bord du pré de mes parents » et qui « borne le monde ». Elle y a renoncé mais dit vouloir, sans relâche, « donner aux paysages, extérieurs et intérieurs, un corps textuel » et, par ses textes, « incarner un bout du monde perdu au milieu de rien ». Ce qu’elle appelle un « pays premier, séminal et infusé que chacun porterait en soi ». Et c’est pour cela que ses écrits nous touchent profondément.