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Les Oeuvres poétiques de Dominique Sampiero

Une anthologie qui regroupe, dans l’ordre chronologique, les premiers écrits de Dominique Sampiero. Le volume 1, déjà très épais, laisse entrevoir l’importance de la production du poète. Son œuvre est remarquable en terme de volume et de qualité. Avant même la lecture, nous apercevons l’évolution de son écriture. Elle est perceptible grâce à l’occupation de l’espace scriptural. D’une forme versifiée à la prose, il est aisé d’imaginer un changement de catégorie générique. Certes, Dominique Sampiero a multiplié les investigations dans ce domaine, puisqu’en plus de la poésie il s’est livré à l’écriture romanesque et dramatique.

Dominique Sampiero, Oeuvres poétiques,
Tome I,
La Rumeur libre,2016, 413 pages, 22 €

En conclure qu’il a renoncé à la poésie lorsqu’il aborde d’autres formes serait aisé, mais il n’en est rien ! Son écriture, toujours d’une égale puissance, tisse une toile multidimensionnelle. Le signe, toujours soumis à un travail époustouflant, est immanquablement vecteur d’images, d’allégories, de métaphores, qui offrent au texte une portée poétique, quelle que soit son appartenance à un genre ou à un autre.

Les premières publications de Dominique Sampiero sont des recueils de poèmes. Une versification libre et un jeu avec l’espace de la page, une syntaxe peu bousculée, un lexique courant, la juxtaposition des mots, l’envol in medias res d’une restitution presque onirique du réel… autant de dispositifs qui offrent au poème un fort pouvoir évocatoire. Le lecteur est invité à voir à travers le regard d’un énonciateur qui lui livre une lecture sensible de son quotidien, sans pourtant céder à un lyrisme anecdotique. Le poète se fait plutôt vecteur d’une expression archétypale des éléments qui constituent le monde, les sentiments et l’existence. Ici plus que jamais, il devient le « voyant », celui qui perce les contours du tangible pour en restituer l’âme.

 

au fond du regard, la main frôle

c'est le chant, l'étoile
le météore
la pupille bleue de l'espace
          cristal dilaté

nos doigts
se chargent de patience
avec l'amour

à la cime du jeu
le rêve est une aile d'oiseau

 

Et si Dominique Sampiero produit une poésie qui porte le langage hors des limites de sa fonction référentielle, ce travail demeure intact dans les poèmes en prose auquel il rend toute sa puissance, et dans ses romans. Pourtant grande est la gageure. il s’agit en effet de maintenir la fiction en état de marche, donc de permettre à la langue de conserver une fonction référentielle. Et bien fonction référentielle il y a dans les romans de Dominique Sampiero, poésie aussi ! Il nous mène dans des univers inédits, et saisi l’immanence en toute chose, en tout être…

 

Ce matin la lumière est réduite en fumée, en brumes, et se frotte à la vitre pour entrer. Rien de mon corps ne veut d'elle. Toutes mes cloisons la repoussent.
Que puis-je répondre à e refus dont je ne sais rien ?
C'est une sorte d'absence, un ange de plâtre dont la blancheur inonde ma vue, la brouille, la vide de tout amour. Le ciel verse en moi son infini et ses doutes. Je lui tiens tête. Je le mâche et cherche l'angle où je vais le cracher, au bord de la page.

 

N’oublions pas, enfin, de rendre à l’auteur cet hommage de reconnaître qu’il a toujours défriché des chemins neufs, armé de poésie, qu’il essaime aussi dans une écriture dramatique inédite, et dans ses productions pour enfants, qu’il sensibilise, de fait, au travail de la langue.

Si Dominique Sampiero est poète ? Il l’était, l’est et le restera, avec ceci de remarquable qu’il tente, en véritable créateur, d’ouvrir de nouvelles voies. Pour preuve s'il en fallait un extrait inédit de Le goût de la nuit.

 

 

 

Le goût de la nuit

 

 

                              365 nuits sur
                              la table de nuit

 

 

                                ( 1 )

C’est bien ici la nuit

Un livre de racines

Qu’on brûle de son vivant

Les yeux ouverts

 

Quand elle se creuse

La nuit devient étang

Cauchemar d’écluse

Péniche aveugle

 

Nous sommes Nuit

À la naissance

Pour alléger la chair

De ses rêves de fontaine

 

                              ( 4 )

La nuit traîne entre les mots

Et c’est ici

 

La nuit dans un sac

Jeté sous le lit

Se venge d’une dérive

Au fond du lac

 

Nuit après Nuit

Rien d’autre

Apprendre à partir

 

La nuit effraie l’oiseau

Quand elle dort

Sous le ciel

 

                              ( 8 )

Nuit où tout craque

Même les os

Laisse la chair te quitter

 

La nuit n’a encore rien dit

De sa fatigue

Des miroirs et des mensonges

 

La nuit insatiable

Renonce à se taire

Dans les mains avides

 

La nuit prend le goût

Du vent

Dans les ruines

 

 

                              ( 12 )

Nuit muselée

Tu dors

Au bord du vide

Et le vide, dans tes yeux

 

La nuit se retire

Du jour

Pour laisser passer

Le temps sans contour

 

Nuit après nuit

Le manque ricoche

Entre paupières

 

 

                               ( 15 )

Nuit qui se perd

Donne un cri

À mon ombre

 

La nuit se dresse

De tout son ventre

Contre un arbre mort

Les pupilles mangées

D’étoiles

 

La nuit

N’écoute plus

Le silence qui la troue

De présence