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Marc Tison : Sons et poésies qui s’enlacent

Cela fait des années que Marc Tison porte la poésie ailleurs, là où elle dévoile ce qui de la banalité de notre quotidien a été enseveli sous les habitudes. Il emmène le poème jusqu'au creux des jours, le rend audible, perceptible. Il rend audible cette dimension vibratoire qui fait de toute poésie l'instrument d'un lien entre nous tous, humains, par-delà le langage. Il fait de la poésie une expérience sensible qui emporte le lecteur/auditeur dans des univers à chaque fois renouvelés. Entre chant et diction, ce cadeau reproductible à volonté grâce au 33 tours qu'il vient de produire avec pour l'accompagnement musical Marc Bernard et pour la mise en œuvre graphique Jean-Jacques Tachdjian, est la suite logique de sa démarche, qui est celle d'un poète qui restitue l'épaisseur acoustique et vibratoire du poème et l'emporte dans l'univers de ceux à qui elle est ainsi offerte, pour que le partage soit consubstantiel de l'édification du sens, et au-delà, pour qu'elle atteigne à l'essence de toute poésie, la fraternité.

Pour quelles raisons mets-tu le poème en scène, en demeure d’être accueilli autrement par les gens ?
Le poème (j’enfonce une porte ouverte) est inséparable de la forme dans laquelle il se propose, qu’elle soit l’institution du livre et de l’imprimerie sur la page blanche, ou l’espace sonore et les mots qui y résonnent.
L’émotion, charnellement, est le prodrome du poème. Il se fabrique chez moi ensuite avec les mots et les langues qui viennent.
Là dans la dernière production parue en vinyle, les poèmes sont faits de matière sonore, de mots et de sons, mais aussi de matière physique. Le vinyle -l’objet n’est pas innocent-, et les affiches livrets, elles même fabriquées d’arrangements visuels.
Quel que soit l’outil de fabrication du poème (Textes pour revues et recueils, performances publiques, formes sonores, visuelles), si je regarde bien mon désir, l’intention est que ce poème renverse la frustration de ne pouvoir jamais transmettre l’exacte émotion qui a suscité le poème. Entreprise vaine s’il en est, mais l’intention elle ne l’est pas. Cela permet que l’objet, le poème, rencontre autrement, dans un cercle élargi, des groupes différents. Et j’ai besoin de ça, encore plus aujourd’hui dans ces moments de petites habitudes sociales et de replis sur des entre-soi.   

Marc Tison, 4 phonations flexibles, vinyle,  poésie musique et livret image ; musique de Marc Bernard, graphisme JJ Tachdjian, Mtmgmt, 2021.

Est-ce une manière de permettre au texte d’imprégner le quotidien des gens, de magnifier ce que la vie fait disparaitre dans une banalité qui élimine toute possibilité d’émerveillement ?
Dans ta question il y a l’éventail des réponses.
Oui bien sur, il y a que je vis très simplement -je peux dire naturellement- l’émotion quotidienne à travers, par exemple, l’odeur de la pluie sur l’herbe coupée comme aujourd’hui, une rencontre de hasard, un fait social signifiant, ou l’arrangement heureux d’une chanson, ou encore la vue d’un paysage. Le poème est là.
Alors oui le texte quand il se propose, mixtionné dans les sons vivants, et/ou dans les vidéos, c’est une façon de « faire la vie ».
Ces propositions sont autant de souhaits qu’elles rencontrent la matière sensible des gens, « les autres », dans des savoirs lire ou entendre les poèmes différents.
Même si les poète-esse-s aiment à être lus et entendus par leurs pairs, et les initiés, l’origine du poème n’est pas là, et ne peut jamais être légitimement là.
D’ailleurs, plus je me pose la question moins je sais, et moins cela m’occupe de savoir pourquoi j’écris, je fabrique, des poèmes qu’ils soient à lire, à entendre ou à voir.
C’est la vie « merveilleuse » comme ça, c’est le « ça qui est ça », des objets de l’émotion du quotidien. C’est surement en parti pour cela que je suis ailleurs des cercles habituels de la poésie.
Mes poèmes, et moi aussi, humblement cherchons surement et éternellement ce que Ferlinghetti nommait « The rebirth of wonder » - « La renaissance des merveilles ».  

Contre la mort 

Je me battrai contre la mort
Toutes les morts
A mains nues rouges 
Armées du soleil fou des solitudes célestes

 Je me battrai contre la mort
Jusqu’à effacer les disparitions
Dans la persistance sidérale

 

Extrait du EP "4 phonations flexibles" Textes voix -Marc Tison / Sons musiques Marc Bernard / Réalisation Pascal Gary.

Je t’aimerai comme avant la curée 
Avec la sauvagerie des perdants
La peur en gorge ficelée des cris
Tes sudations déversées dans mon ventre 
Seront mes psychotropes mes euphories 

Ma bouche écorchée embrassera à pleines dents
La nuque des bâtisseurs de ruines
Tes ennemis se videront de leurs sangs
Rendus blêmes
Tu auras le mien embrasé en recours

Je t’offrirai le si peu que j’ai de précieux
Mes organes vitaux
Mon sexe
Mon cœur
Mes poumons

 Et le mystère de la raison  

Je deviendrai quelqu’un de bien mieux

∗∗∗

 L’affolement des courbes

Ce sont les mains
Les mains
Les mains suivent la ligne
Elle paraît
Sur l’univers blanc  
Et au dedans
La métaphore du cœur
Le battement
On ne sait pas où
On ne sait pas où se trouve l’émotion
L’organe qui envahit l’ensemble

Ce sont les mains
Les mains
Qui le disent
En dessin dans l’air
L’affolement des courbes  

Un contre-jour
Des bouches se frôlent
La jambe enlace une taille
Le cou une paume les doigts 
Et les yeux
Le long des horizons s’étreignent
En échange les traits de contraste

 

∗∗∗

Il n’y a pas d’autre que moi

Il n’y a pas d’autre homme que moi
Il n’y a pas d’autre homme que moi

Il n’y a pas d’autre homme que moi pour nourrir les oiseaux du jardin
Il n’y a pas d’autre homme que moi
Il n’y a pas d’autre homme que moi pour causer à mon voisin

Il n’y a pas d’autre homme que moi pour sauver le monde 

Il n’y a pas d’autre homme que moi
Il n’y a pas d’autre homme que moi pour combattre l’obscurantisme trier les déchets

Il n’y a pas d’autre homme que moi
Il n’y a pas d’autre homme que moi pour faire le ménage et advenir la paix

Il n’y a pas d’autre homme que moi
Il n’y a pas d’autre homme que moi dans la volition d’être un homme

 

Extrait du EP "4 phonations flexibles" de Marc Tison distribution numérique Absilone. Sons et poésies qui s'enlacent.

∗∗∗

 

Pierre

Pierres qui calent mesures d'usines
imbriquent des briques de terre de
pierres pierres rouges les murs des
maisons ouvrières des ouvriers
effacés dans le canton de Denain
désintégrés statistique sociale
troisième page des misères du
journal rouge maisons barricades
planches aux fenêtres et les murs
désertés rouges de pierres
s'effritent sans fin recyclées et
d'autres écrasées sans fin tapis des
sols d'autoroutes sacrifices des os
d'anciens locataires sidérurgistes au
RSA offerts à la condition de
poussières

 

Extrait de la lecture performance de Marc Tison textes et Raymond Majchrzak sons à Bereldange Luxembourg le 06 février 2019. Texte extrait du recueil "Des nuits au mixer" édition de "lachienne".

Présentation de l’auteur

Marc Tison

  1. Né entre les usines et les terrils, à Denain dans le nord de la France. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières.

Lit un premier poème de Ginsberg. Electrisé à l’écoute des Stooges et de John Coltrane.

Premiers écrits.

1975 s’installe à Lille. L’engagement esthétique est politique. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications dans des revues. 

Il écrira et chantera plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes.

Décide de ne plus envoyer de textes aux revues pendant presque 20 ans, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phrases sans fin puis il jette tout et s’interroge sur l’effondrement du « moi ».

Déménage en 2000 dans le sud ouest. Reprend l’écriture et la publication de poésie.

Engagé tôt dans le monde du travail. A pratiqué dans un premier temps de multiples jobs : de chauffeur poids-lourd à rédacteur de pages culturelles, en passant par la régie d’exposition (notamment H. Cartier Bresson) et la position du chanteur de rock. Puis il s’est dédié à la production musicale pour, depuis 25 ans, se spécialiser dans la gestion et l’accompagnement de structures et projets culturels.

 

 

 

 

 

 

Poésie

1977 - 1981 : Publié dans plusieurs revues (dont « Poètes de la lutte et du quotidien »)

2000- 2019 : Publié dans plusieurs revues (« Traction Brabant, Nouveaux Délits, Verso, Diérèse,…).

2008 : Recueil collectif « Numéro 8 », éditions « Carambolage ».

2010 : Recueil « Manutentions d’humanités », éditions « Arcane 17 ».

2012 : Recueil « Topologie d’une diaclase », éditions « Contre poésie ».

Texte « Désindustrialisation », éditions « Contre poésie ».

2013 : Recueil « L’équilibre est précaire », éditions « Contre poésie ».

                  Trois affiches poèmes, éditions « Contre poésie ».

2015 : Recueil « les paradoxes du lampadaire » + « à NY ». « Editions Contre poésie ». 

2017 : Recueil « Des Abribus pour l’exode » (accompagné de 7 images / peintures de Raymond Majchrzak)  Editions « Le Citron Gare ».

2018 : Recueil « Des nuits au mixer ». (Mise en page J.J. Tachdjian). Editions « La chienne » collection « Nonosse »

 

 

 

Autres 

Depuis 2010 : Lectures / Performances / installations poésie (solo, duo avec Eric Cartier et collectif).

2014 : Publications de quinze textes et une nouvelle dans le livre d’artiste « Regards » du photographe Francis Martinal.

A publié plusieurs nouvelles sur des sites en ligne.

 

Poèmes choisis

Autres lectures

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