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Alain Marc, Poésies non hallucinées

Alain MARC, Poésies non hallucinées

Une posture d’Homme arc-bouté en équilibre instable sur le fil de la langue, tel Alain Marc, dont les vers brefs, comme le souffle coupé, émaillent un livre de belle facture ponctué de dessins « Anonymes calcinés de Christian Jaccard ».

En lisant les premiers textes de « Poésies non hallucinées », je ne peux ôter de ma mémoire les suffocations d’Henri Michaux, le cri expulsé de ces pages liminaires de Face aux verrous. Ce cri, à force d’être paraphrasé par les triturations du texte, émerge, surréaliste et effrayant, mais salvateur, d’un recueil de poèmes démesurés de par la brièveté savamment organisée du verbe, et grâce au choix d’un lexique qui, pour être simple et usuel, n’en est pas moins l’outil d’une poésie épaisse et poignante.

  Fente    
   Cachant      Montrant

   CACHANT ET MONTRANT

   le Dedans
   DU CRI !

   Ce Monde
   Inté
   Rieur
   Ne pouvant
   Communi
   Quer
   VU
   de l’Exté
   rieur

   QUE PAR LE MINCE
   FILET DU SEXE

 

Alain MARC, Poésies non hallucinées, L’Or du temps, Editions du petit véhicule, Nantes, 2017, 128 pages.

Alain MARC, Poésies non hallucinées, L’Or du temps, Editions du petit véhicule, Nantes, 2017, 128 pages.

Le poète convoque l’enfance, la foison de souvenirs dont il interroge incessamment l’exactitude. Son identité est questionnée au regard de ces entités temporelles de lui-même considérées avec le recul nécessaire à toute remise en question. Le dessin de la couverture ne dément pas cette omniprésence de l’inconscient, offrant un portrait dont des hachures verticales estompent les trois quarts du visage. Et il ne s’agit pas de plainte, Alain Marc interroge le passé, dans une tentative aboutie de renouvellement du discours lyrique, en prenant à bras le corps les lieux communs du genre pour les parodier ou en transcender la portée.

J’ETAIS PETIT ENFANT

Il y a quelques instants
         j’avais
SIX ANS
        et j’entendais
une voix
        parler au cœur

J’étais descendu
          Tout près de moi
                     trans                 planté
                     près de mes peurs

 

                    trans                planté
                    près de mes peurs
                      et des pleurs

L’émoi
de l’ancien enfant
sortait de mon corps
et pulsait
le cœur
      je faisais un voyage
     dans le temps
     un voyage
     dans mes
     moments…

Un énonciateur qui est toujours spectateur de lui-même, et critique sans concession mais sans apitoiement de ses heures d’aveuglement. Il est lié au désir de faire comme si l’oubli de ce regard spéculaire pouvait permettre au poète d’exister. Dialoguant avec son inconscient, il pousse plus avant cette remise en question des perceptions et des souvenirs, mais ne déstructure pas pour autant la langue, ni la syntaxe qui reste au service d’une versification libre mais usuelle. Il joue magnifiquement avec l’espace scriptural. Des signifiants, coupés en deux, un peu comme l’homme et son miroir, la mémoire, permettent au poète de jouer avec le sens et la phonologie. C’est alors comme ouvrir un mot et permettre aux acceptions de s’en échapper, à la pluralité des potentialités du lexique d’opérer une transmutation sémantique. Nous touchons là à l’essence même de la poésie, une simple syllabe suffit à Alain Marc pour ouvrir les strates sémantiques du langage.

Une source limpide que ce recueil, qui mène le lecteur vers lui-même, avec humour ou gravité, mais toujours avec une humanité dont il révèle les contours. Le regard réflexif qu’Alain Marc porte sur lui-même étaie un discours scrutateur et constitutif d’un portrait dont émane l’essence de son être, parce que ce regard, loin d’être porteur de désenchantement, devient unificateur. Les deux derniers chapitres portent des titres qui disent cet aboutissement : « Poésies éveillées » et « poésies zen ». Les âges dévoilés par les réminiscences et abordés par le biais d’une lecture qui convoque les représentations de l’inconscient sont soumis à un examen qui démythifie le souvenir et permet d’apercevoir l’essence même de l’être. Mais n’est-ce pas là le rôle, la mission de toute poésie. Un verbe dévolu à l’éveil, à la constitution d’un homme dont le portrait serait impossible parce que figure de toute l’humanité, c’est ce que tente d’ébaucher Alain Marc, et c’est ce chemin dont il montre l’entrée au lecteur. C’est là l’ultime mission de la poésie.

Présentation de l’auteur

Alain Marc

Poète mais aussi essayiste, l’écriture du cri et la poésie publique sont les deux composantes essentielles de son écriture. Avec deux grands chantiers : celui d’un cycle de 14 poèmes de plus de 1275 pages et celui de plus de 4000 notes disséminées dans différents essais, carnets et journal. Il effectue également des lectures publiques dans le prolongement de ses écrits.

 

Alain Marc

© Photo : Ludovic Leleu

Dernières publications :

  • Bernard Noël, le Monde à vif, le Temps des cerises, 2010
  • Le Monde la vie, éditions du Zaporogue, 2010
  • la Souffrance du monde, éditions du Zaporogue, 2011

Dernièrement : livres pauvres notamment pour la collection de Daniel Leuwers avec Aaron Clarke et Max Partezana, planches manuscrites/dessins uniques en dépôt à la galerie Alain Oudin, livre d’artiste leporello de 10 m de long réalisé en direct avec Joël Leick et participation au premier numéro des Cahiers Laure.

Sites principaux :

http://alainmarcecriture.free.fr

http://alainmarclectures.free.fr/

 

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