1

Pascal Boulanger, L’Intime dense

Un recueil qui sonne comme un Angelus, et signale un départ, ou une arrivée, vers une nouvelle existence. Tout entier dans la contemplation, Pascal Boulanger a trouvé l'essence de toute chose, et cette poésie de l'immobilité agissante est une somme, celle d'une vie d'écriture. Dense est l'intime dans ce recueil publié sous l'enseigne du Cygne. 

Les poèmes sont courts, le recueil léger, mais la teneur des propos n'aurait pas supporté la dilution dans des méandres hasardeux. C'est la portée de chaque mot qui confère à cet ensemble sa teneur extrême, pesante de gravité et de sens. Une découverte du monde, et de ce que l'âge nous amène de clairvoyance. 

Innigkeit intendere l'intime dense
sur l'abime
courage cœur, dans la poussière dorée
comme ce que dieu resté à l'écart
& qui sépare 

Pascal Boulanger, L'Intime dense, Les éditions du Cygne, 2021, 51 pages, 10€.

La métamorphose est celle d'un homme naissant  après avoir grandi, démuni par sa cécité, par les expériences, par l'oppression d'un temps exempt d'éternité. Puis à force de souffrir ou d'être heureux, à force de chercher ce qu'on ne peut trouver en dehors de soi-même, à force de vivre, ce qui n'est pas un acte, bien qu'une volonté s'y dissipe, se fait jour cette évidence, simple et extrême, que tout est dans le regard en-soi, et dans cette sagesse suprême qui veut que l'on ne cherche plus rien car tout est là, dans cette communion avec ce qui est. 

 

Hier n'est que le seuil
où tremblent les troubles d'argent
jamais las l'amour
de ses yeux fixe & contemple
les vagues bleues qui s'étendent
avant de remonter vers la source.
Le chemin qui monte & celui qui descend
sont le même
quand le ciel devient
comme la maison du peintre.

Le lexique est usuel et la syntaxe protocolaire, il n'y a pas ici de phrases alambiquées, qui distilleraient des mots rares pour tromper l'altérité du verbe. Tout est dans le retournement. Celui du sens, celui du regard, du miroir aussi. C'est dans cette transcendance que Pascal Boulanger s'évade et trouve l'agencement des vers de ses poèmes. 

 

le menuisier du sens oublie
que le temps existe
il ne compte plus les jours de la vie
à la fenêtre lumineuse
qui se devine & s'approche.

 

L'amour revêt alors son habit d'univers. Et s'il se peut d'apercevoir un visage dans l'évocation de ceci, aimer, une autre lecture s'impose. Celle d'une sublimation de la femme aimée, reçue dans l'entièreté de son être, parfaite et imparfaite ; celle aussi de recevoir l'amour comme une révélation, qui est l'accueil de tout, de la nature, de ses couleurs et de ses tempêtes qui sont toutes les aubes,  celles d'un présent immuable.

 

Proche
insaisissable
en épiphanies qui brûlent.
La présence d'un ciel
dans l'éclat de ses yeux
fera-t-elle retour ? 
Dans l'attente parmi
les oiseaux bavards de l'aube
qui signe & veille
sur les montagnes du temps
chose nouvelle ; amour ? 

 

L'Intime dense est placé sous les auspices d'Hölderlin. Et c'est effectivement de ce lyrisme de l'intime qu'est façonné ce recueil. La poésie d'Hölderlin témoigne d’un processus de transformation intérieure constante. Il ne s'agit pas pour lui d'étayer l'acte de création sur la nécessité abstraite du savoir, mais bel et bien sur les sensations et la contemplation de la nature. On perçoit dans sa poésie le rythme d’une sensibilité lyrique fondamentale, constitutive de l'expérience.  Un des textes les plus aboutis d’Hölderlin, « Le promeneur », évoque cette état d'être : « Je reste donc seul. Mais toi qui règnes au-dessus des nuages, / père de la patrie, puissant Éther, et vous / Terre, et Soleil, vous trois qui seuls régnez et aimez, / dieux éternels, les liens qui m’attachent à vous ne se rompront jamais. » Ce qui s’exprime n’a plus rien d’extérieur, de changeant ni d’arbitraire. Tout comme dans L'Intime dense où on retrouve le panthéisme artistique d’Hölderlin, la poésie de Pascal Boulanger s’ancre sur cette nécessité de trouver l’infini dans une multitude de figures singulière. C'est ce qui sous-tend l'écriture, et c'est là qu'elle puise toute sa profondeur. Le regard du poète dévoile le monde, ce qu'il y a de sacré dans chaque posture, chaque croyance, chaque instant, chaque paysage. C'est grâce à cet Amour unificateur qui accueille la multitude et unit chaque chose et chaque être que l'écriture dépasse jusqu'à la possibilité du langage. Le poème devient un chant, un son unique, un mantra vertical ascendant qui transcende l'altérité et révèle l'infini singulier du sens.

La poésie de Pascal Boulanger  dévoile ce qui dans la densité de l'intime est ce noyau universel et puissant, l'Homme. Elle est écrite d'un lieu sans aller ni retour, de là où tout témoigne d'une communion fertile et éblouissante avec le silence de tous les poèmes. 

 

Si la proximité n'existe que dans l'écart
chaque ici séjourne
dans le lointain.
Seul et jamais seul
dans le trait que laisse le retrait ;
amour comme
surprise de l'événement.
Le surcroît qui ne peut être demandé
répond pourtant à un désir.
Science des couleurs & des sons
qu'est l'absence quand le cœur au secret
acquiesce à la beauté ;
bouche belle d'un baiser
sous l'œil peint d'eau pur.