Les Hommes sans épaules, cahiers lit­téraires semes­triels dirigés par Christophe Dauphin, ne s’appréhendent pas comme une revue. A mi-chemin entre le livre et  le péri­odique, cette mag­nifique pub­li­ca­tion pro­pose certes des arti­cles. Mais le para­texte et le for­mat pro­posés appar­entent cette belle réal­i­sa­tion au vol­ume d’un livre, sou­vent con­séquent (336 pages pour ce numéro 44) plutôt qu’à une revue.

Le pro­pos varie aus­si de celui d’une revue clas­sique. Suiv­ant un groupe­ment thé­ma­tique, Les Hommes sans épaules recensent au som­maire du dossier pro­posé à chaque numéro des auteurs et leurs œuvres, con­nus et moins con­nus, qui s’y appar­entent. Suiv­ant à chaque fois la même mise en œuvre, les extraits sont précédés par un dis­cours cri­tique qui fait office d’introduction. Ce dis­posi­tif per­met d’envisager le texte et son auteur dans une glob­al­ité sig­nifi­ante, car sont évo­qués les con­textes his­toriques et cul­turels qui ont sous-ten­du leurs pro­duc­tions. Ces intro­duc­tions sont d’une rare qual­ité, car le comité de rédac­tion laisse la parole à des spé­cial­istes du thème choisi. Le lecteur a donc le plaisir de pou­voir décou­vrir à la fois une époque, un con­texte, des auteurs et des pro­duc­tions savam­ment choisies.

Les Hommes sans Épaules N°44, dossier « Nikolaï Prorokov & les poètes russes du Dégel », deuxième trimestre 2017, 336 pages, 17€.

Les Hommes sans Épaules N°44, dossier « Niko­laï Pro­rokov & les poètes russ­es du Dégel », deux­ième trimestre 2017, 336 pages, 17€.

 En manière d’avant pro­pos, Christophe Dauphin pro­pose, pour chaque numéro, un édi­to­r­i­al. Ce numéro 44, con­sacré à Niko­laï PROROKOV et aux « Poètes russ­es du Dégel », est précédé d’une intro­duc­tion cha­peautée par deux épigraphes. L’une est une cita­tion tirée de Lit­téra­ture et révo­lu­tion, de Léon Trot­sky, l’autre con­voque Karl Marx, avec des lignes tirées du Débat sur la lib­erté de la presse. Le ton du pro­pos, inti­t­ulé La Poésie n’est pas au ser­vice d’une classe, est don­né.  Ces deux références sou­ti­en­nent les lignes de Christophe Dauphin qui nous rap­pelle que la poésie est uni­verselle, qu’elle tran­scen­dance les con­tin­gences his­toriques et poli­tiques. Noms et par­cours de vie de poètes pour exem­ples, il nous mon­tre que nom­bre d’entre eux ont péri à cause de leurs écrits. Ces références, des hommes héroïques, nous rap­pel­lent que la lib­erté est avant tout celle de créer, celle de pou­voir s’exprimer. Le directeur des Hommes sans Epaules nous rap­pelle que cette péri­ode du « Dégel » est le ter­reau d’une pro­duc­tion poé­tique abon­dante, mais majori­taire­ment étouf­fée et passée sous silence. Autant de noms aux­quels la revue rend hom­mage, d’œuvres mis­es en lumière, de par­cours de vie bien sou­vent écourtés par le fait d’avoir osé être poète. Replacées dans le con­texte his­torique et poli­tique de l’époque, bril­lam­ment évo­qué par l’auteur de cet édi­to­r­i­al, ces fig­ures mar­quantes de la poésie russe sont con­vo­quées dans une per­spec­tive marx­iste et lit­téraire. Ain­si s’expliquent les mou­ve­ments et les écoles qui ont pris racine dans ce con­texte par­ti­c­uli­er, ain­si que la pos­ture de cha­cun. Et le point com­mun, qui est celui de ne jamais cess­er de vouloir résis­ter, sert de fil directeur à cette belle recension. 

A ce titre, le dossier cen­tral, con­sacré à Niko­laï Pro­rokov, est représen­tatif de cette pos­ture de résis­tance et de sac­ri­fice pour la lib­erté. La présence de ce poète ain­si que le car­ac­tère inédit des textes pro­posés est mis en exer­gue dans l’introduction. Cette présen­ta­tion ain­si que le choix des extraits sont l’œuvre d’Olga MEDVEDKOVA et de Karel HADEK.  Ce dossier est accom­pa­g­né d’articles et de cita­tions d’œuvres d’autres poètes de cette époque, tels qu’Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Ana­toli NAÏMAN, Vik­tor SOSNORA, Bel­la AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK et Ios­sof BRODSKI. Le para­texte qui présente chaque auteur et les pro­duc­tions pub­liées est tou­jours riche et guide le lecteur dans son appréhen­sion glob­ale de l’œuvre.

A ces groupe­ments thé­ma­tiques se joignent des rubriques : « Le Doc­u­ment des HSE » que ce numéro con­sacre à Maïakovs­ki dans un arti­cle inti­t­ulé « Maïakovs­ki incon­nu » signé par Iouri Annenkov ; « Le por­trait des HSE » dédié cette fois-ci à Iouri Annenkov et signé Christophe Dauphin ; « Le pein­tre des HSE », Oksana Shachko ; « Les pages des HSE » qui pro­posent une série de pro­duc­tions de poètes de tous hori­zons. Ces index et les auteurs et artistes qui y sont mis à l’honneur sont tou­jours accom­pa­g­nés d’une intro­duc­tion qui présente et situe les élé­ments proposés.

Peut-on alors par­ler encore de revue. Oui, cer­taine­ment, car il s’agit bien d’une pub­li­ca­tion péri­odique spé­cial­isée dans un domaine pré­cis. Mais la qual­ité des élé­ments para­textuels, la diver­sité des références pro­posées et leur mise en per­spec­tive font des Hommes sans Épaules un doc­u­ment d’une grande richesse. La thé­ma­tique abor­dée fait l’objet d’un tra­vail expli­catif con­séquent, tout comme chaque rubrique. Le lecteur peut alors situer ce qu’il décou­vre. Sans jamais ori­en­ter sa lec­ture, Les Hommes sans Épaules lui offre la pos­si­bil­ité d’appréhender une époque, une œuvre, un auteur, une prob­lé­ma­tique, en lui per­me­t­tant de se forg­er une opin­ion, et en lui offrant les out­ils néces­saires à une com­préhen­sion appro­fondie et autonome des domaines abordés.

Enfin, les pages lim­i­naires de ce numéro 44 met­tent à l’honneur deux « Femmes sans épaules », Joce­lyne Cur­til et Marie-Chris­tine Brière, dis­parues cette année. Hom­mage émou­vant auquel se joint l’équipe de Recours au Poème qui salue, tout comme le rap­pelle le comité de rédac­tion des HSE, l’importance de l’œuvre de cha­cune d’entre elles.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.