Quand on me pose la question : entretien avec Ghislaine Lejard

Par |2025-09-07T09:14:22+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Focus, Ghislaine Lejard|

Ghis­laine Lejard est poète. Elle tisse des trames de sens non seule­ment avec les mots, mais aus­si grâce à son tra­vail unique et puis­sant sur l’im­age, les images, la forme, les couleurs. bribes de mots, et de dessins, ou pho­togra­phies, de couleurs, de formes, qui lais­sent émerg­er des univers inédits et fer­tiles. Col­lages, paroles tracées au coeur de pages bien sou­vent uniques, je fais référence à ses pro­duc­tions magis­trales de Livres pau­vres, nous lui devons aus­si un engage­ment au ser­vice de la lit­téra­ture, vecteur de fra­ter­nité et témoin de nos his­toires, de notre His­toire. Elle a accep­té de répon­dre à nos questions. 

  1. Pourquoi le col­lage ? Com­ment es-tu venue à cette dis­ci­pline artistique ? 
Quand on me pose la ques­tion de l’origine de mes col­lages, j’éprouve beau­coup de dif­fi­culté à répon­dre, car la genèse en reste mys­térieuse ; mais elle a très cer­taine­ment son orig­ine dans l’enfance. Je garde un très net sou­venir de mon intérêt pour le papi­er et les images que je col­lec­tion­nais. Les mots et les couleurs dans les revues rete­naient mon atten­tion, j’aimais en découper les pages. Et puis, je suis de la généra­tion qui rece­vait en récom­pense à l’école des bons points, ceux-ci étaient sou­vent des images… La ren­con­tre avec l’œuvre du col­lag­iste tchèque Jiri Kolar a été déter­mi­nante, en la décou­vrant, j’ai eu envie d’expérimenter et d’approfondir dans ce domaine.

Ghis­laine Lejard, lep­orel­lo réal­isé en 15 exem­plaires signés numérotés, avec Jacques Robi­net, Béni sois-tu.

2. Qu’est-ce qui t’at­tire dans ce moyen d’ex­pres­sion ? Son côté frag­men­taire, la lib­erté, le hasard ? 
Ce moyen d’expression per­met une très grande lib­erté, Jiri Kolar dis­ait : « La lib­erté est col­lage ». Le col­lage n’enferme pas, il ouvre sur des champs nou­veaux, il n’est pas éton­nant que Picas­so et Braque en aient réal­isés au tout début du XXème siè­cle. Le col­lage est l’art du lâch­er-prise et est l’illustration par­faite de cette phrase de Stéphane Mal­lar­mé : «  Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. »
3. Quels matéri­aux aimes-tu privilégier ? 
Mon matéri­au est le papi­er récupéré dans des revues, des livres anciens, des pub­lic­ités, des affich­es, avec par­fois des textes ; il m’est arrivé aus­si de récupér­er des objets comme des bois flot­tés, du sable, des ver­res polis ou des canettes usées et écrasées. J’ai réal­isé, il y a quelques années déjà, une série de col­lages avec des affich­es déchirées et des canettes.
4. Tu par­les sou­vent du col­lage comme d’un lan­gage. Qu’­ex­prime-t-il de plus que les mots ne peu­vent dire ? 

Le col­lage est tout autant com­po­si­tion plas­tique qu’écriture visuelle ou poésie visuelle. Il est un lan­gage au même titre que la musique ou la danse. Plus que la pein­ture, il est proche de l’écriture poé­tique, il en est une forme aboutie et c’est sans doute ce qu’a vécu Jiri Kolar qui a cessé d’écrire de la poésie pour ne s’exprimer poé­tique­ment que par le col­lage, aban­don­nant défini­tive­ment l’écriture de poèmes.

Traits et couleurs Michel Bohbot- Ghis­laine Lejard, livre pau­vre réal­isé pour Daniel Lew­ers en 4 exemplaires.

5. Le frag­ment, la coupe, le mon­tage, sont-ils une manière de traduire la dis­con­ti­nu­ité du monde ou au con­traire de réin­ven­ter une cohérence ?
Le col­lage est décon­struc­tion et recon­struc­tion ; décon­stru­ire une image   en déchi­rant ou en découpant des élé­ments puis ensuite avec divers élé­ments col­lec­tés, recom­pos­er, réin­ven­ter une image qui nait de la ten­sion entre le chaos des frag­ments et l’harmonie de la composition.
6. Tu as col­laboré avec de nom­breux poètes. Com­ment se noue le dia­logue entre leurs mots et tes images ? 
Le col­lage depuis l’origine est tra­ver­sé par l’écriture, rap­pelons-nous cer­tains col­lages de Braque avec des frag­ments de journaux…Certains de mes col­lages intè­grent des références cul­turelles qui inter­ro­gent le rap­port au passé et au lan­gage, il ne s’agit pas de racon­ter mais de laiss­er advenir  une réso­nance, le col­lage n’impose pas de sens mais demande plutôt un temps de pause et de con­tem­pla­tion, un temps qui con­voque l’imaginaire et le sensible.
7. Est-ce le texte qui appelle l’im­age, ou bien l’im­age qui motive le texte ? 
J’écris de la poésie et je réalise des col­lages, tout naturelle­ment j’aime associ­er ces deux formes d’expression. Il y a eu dans l’histoire du col­lage, dès le début, des liens étroits entre ces modes d’expression ce que j’explique dans un arti­cle pub­lié dans la revue Saisons de cul­ture au titre emprun­té à Jiri Kolar : « le col­lage est poésie ».
Dans des livres d’artiste, mes col­lages entrent en réso­nance avec les mots de poètes ami(e)s, ces livres en duo pro­lon­gent mon tra­vail de col­lag­iste.  Tan­tôt le texte appelle l’image, tan­tôt l’image appelle les mots. Chaque col­lab­o­ra­tion est unique et me touche, et si il faut en partager une, je pense au livre réal­isé avec Jacques Robi­net alors qu’il était en soin pal­li­atif et me touche tout par­ti­c­ulière­ment le poème offert, un hom­mage lumineux à la vie comme un mag­nifique «  tes­ta­ment » poé­tique, je le relis tou­jours avec une grande émotion.
8. Tu as par­ticipé ou es à l’o­rig­ine de nom­breux Livres pau­vres. peux-tu expli­quer ce qu’est ce con­cept et ce qu’il représente pour toi ? 
J’ai eu la grande chance de décou­vrir le livre pau­vre, un con­cept artis­tique généreux, ini­tié par Daniel Leuw­ers, cette décou­verte a été essen­tielle, j’ai pu ren­con­tr­er Daniel Leuw­ers et  créer avec lui et d’autres écrivains ou artistes pour ses col­lec­tions. Daniel est un extra­or­di­naire «  passeur », sans la ren­con­tre avec le livre pau­vre, je n’aurai sans doute pas réal­isé des livres d’artiste.
9. Quelle est, selon toi, la force de ces objets, uniques et hors du marché, dans un monde sat­uré d’im­ages, une société de consommation ? 
Les livres pau­vres  sont des livres objets, frag­iles qui témoignent d’un besoin absol­u­ment néces­saire d’échanges; Ils man­i­fes­tent la force des ren­con­tres et de la créa­tion, de son orig­ine sacrée comme fonde­ment incon­tourn­able de vie en société. Un sacré hors du religieux, mais offrande et expéri­ence créa­tive essen­tielle. L’artiste est le témoin, dans un monde désacral­isé, d’une réal­ité qui le dépasse. Il est celui qui offre, partage, qui trans­forme, qui ouvre au sen­ti­ment du merveilleux.
10. Tu es très active dans le monde de la poésie et de l’art. Qu’est-ce qui nour­rit et motive tes nom­breux engagements ? 
L’artiste est un passeur, il ne cesse de s’interroger et donc il interroge.
Ce qui motive mes engage­ments c’est essen­tielle­ment le besoin d’échange, de partage. La créa­tion est tou­jours un vecteur de ren­con­tres et cer­taines furent essen­tielles dans ma vie.
11. Quels con­seils don­nerais-tu à quelqu’un qui voudrait se lancer dans le col­lage comme pra­tique artis­tique et poétique ? 
Je lui recom­man­derai de regarder toutes sortes d’images, de col­lecter celles qui le touchent , de se laiss­er porter par leurs formes, leurs couleurs, de les frag­menter puis, en se lais­sant guider par son intu­ition et dans un lâch­er prise associ­er des frag­ments de façon aléa­toire pour faire naître une nou­velle image.
 En pen­sant à Jacques Prévert qui fut poète et col­lag­iste, à la façon de son poème Pour faire le por­trait d’un oiseau, je pour­rai dire :
Pour réalis­er un collage
col­lecte des frag­ments de papier
des jolis des sim­ples des beaux
colle- les  sur un papi­er un car­ton ou une toile
ne rien dire ne rien vouloir
atten­dre se laiss­er guider
ne pas se décourager
la vitesse et la lenteur
n’ayant aucun rap­port avec la réus­site du collage
observ­er atten­dre que le col­lage se décide à être
si il étonne et émer­veille le collagiste
c’est bon signe
signe que tu peux signer
et écrire ton nom dans un coin du collage.

 

Course des étoiles, Ghis­laine Lejard et Michel Bohbot, exem­plaire unique.

Image de Une © Yvon Kervinio.

Présentation de l’auteur

Ghislaine Lejard

Ghis­laine Lejard a pub­lié plusieurs recueils de poésie, dernières paru­tions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Hen­ry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a col­laboré avec 25 textes au livre de Bruno Roti­val Silence et Partage (ed Medi­as­paul, 2019 Lam­beaux d’humanité en col­lab­o­ra­tion avec Pierre Rosin ( ed Zin­zo­line). . Ses poèmes sont présents dans des antholo­gies, dans de nom­breuses revues et sur des sites. Elle col­la­bore régulière­ment pour des notes de lec­ture ou des arti­cles à des revues papi­er et des revues numériques. Des plas­ti­ciens ont illus­tré de ses poèmes, des comé­di­ens les ont lus. Elle organ­ise des ren­con­tres poétiques.
Elle a été élue mem­bre de l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire, en 2011.
Elle est mem­bre de l’association des écrivains bre­tons ( AEB).
Elle est aus­si plas­ti­ci­enne, elle réalise des col­lages. Elle a par­ticipé à des expo­si­tions col­lec­tives en France et à l’étranger et a réal­isé des expo­si­tions per­son­nelles. Ses col­lages illus­trent des recueils de poésie. Elle col­la­bore avec des poètes à la réal­i­sa­tion de livres d’artiste
http://ghislainelejard.com/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard
Elle ani­me des ate­liers de collage.
Elle pra­tique l’art postal, a réal­isé à Nantes et en région nan­taise des expo­si­tions d’art postal ; elle a ini­tié le con­cept de « rich­es enveloppes », asso­ciant col­lage et poésie, de nom­breux poètes y ont déjà participé.

Ghislaine Lejard

Autres lec­tures

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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