Eric Dubois, un chemin de vie plus qu’un parcours 

Voici des années, des décen­nies, qu’Eric Dubois ne cesse, pour­suit, chem­ine, accom­pa­g­nant cette évi­dence qui est sienne, écrire. Il se définit lui –même comme

Eric Dubois : poète du quotidien

Cela sonne bien

Tu auras passé toute ta vie
A chercher

A avoir un prénom et un nom1Eric Dubois, Entre gouf­fre et lumière

Auteur, lecteur-réc­i­tant et per­formeur il pub­lie plusieurs recueils dont « L’âme du pein­tre » ( pub­lié en 2004) , « Cat­a­stro­phe Intime » (2005), « Laboureurs » (2006), « Pous­sières de plaintes »(2007) , « Robe de jour au bout du pavé »(2008), « Allée de la voûte »(2008), « Les mains de la lune » »(2009), « Ce que dit un naufrage »(2012) aux édi­tions Encres Vives, « Estu­aires »(2006) aux édi­tions Hélices ( réédité aux édi­tions Encres Vives en 2009), « C’est encore l’hiv­er » (2009), « Radi­ogra­phie », « Mais qui lira le dernier poème ? »  (2011) aux édi­tions Publie.net, « Mais qui lira le dernier poème ?  »  (2012) aux édi­tions Pub­lie papi­er, “Entre gouf­fre et lumière” (2010) aux édi­tions L’Har­mat­tan, « Le canal », « Récur­rences » (2004) , « Acrylic blues » (2002) aux édi­tions Le Man­u­scrit, entre autres.   Beau­coup d’autres textes parais­sent dans des antholo­gie ou revues. Enfin, ultime engage­ment de cet auteur tant act­if que tal­entueux, il est le respon­s­able de la revue de poésie en ligne « Le Cap­i­tal des Mots ».

Eric Dubois, Le Cahi­er, Le Chant séman­tique, Choix de textes 2004/2009, L’Har­mat­tan, 169 pages, 17 euros.

D’une écri­t­ure quelque peu clas­sique, dévolue à un lyrisme émou­vant et à des inter­ro­ga­tions sur la place du poète dans un monde qu’il ne cesse d’interroger, Eric Dubois se définit lui-même comme « poète du quo­ti­di­en ». Ses pre­miers recueils con­vo­quent tout un univers, sin­guli­er, celui de l’environnement de l’auteur, sup­port d’un ques­tion­nement ontologique. Le poète, dans une prise en compte du quo­ti­di­en, inter­roge ses pro­pres per­cep­tions, et sa rai­son d’être au monde, ques­tion­nement pre­mier et per­ma­nent, qu’il s’agisse de restituer une vision extérieure, ses pro­pres états d’âmes, ou, dans les derniers recueils, le lan­gage lui-même. Il évoque, dans un syn­crétisme tem­porel, ses sou­venirs, ses péré­gri­na­tions men­tales, et, tou­jours, son rap­port à l’écriture. 

 

Le Cahier

 

Quelques notes raturées                                          tu écris qu’il
est impos­si­ble d’écrire dans cet état

 

Tu ne veux pas de ce monde con­sumériste                        des
lignes d’écri­t­ure                      ser­rées                              plus de
dyslex­ie infan­tile.                         il t’ar­rive par­fois de bégayer
des mots improb­a­bles dans une langue incer­taine dans une
syn­taxe schizophrène

Par­fois de songer à ton  ado­les­cence   et à ta jeunesse
périlleuse     sur le chemin des restes de                   cahi­er de
poèmes écrits à dix-sept ou à vingt ans

Matéri­au pour une analyse plus approfondie

Mine d’or minée pour les                        thérapeutes patentés
tu écrivais pour les filles n’est-ce pas ?

On écrit pour couch­er des mots pour
couch­er avec                      pour se couch­er et
dormir avec l’amour. 

Sur le blanc du papi­er                                                   le noir de
tes pen­sées                                                le calque de tes désirs
l’en­cre de ton avancée                      sur des ter­ri­toires fragiles

Tu as tou­jours avec toi un petit cahi­er. le cahi­er tu
écris qu’il est impos­si­ble d’écrire dans cet état il
t’ar­rive par­fois de bégay­er des mots   improb­a­bles dans une
langue incer­taine dans une syn­taxe schizophrène

Où écrire le poids de ton âme sur le bal­anci­er des mots

Sur les lignes après la marge                                     du définitif
Matéri­au pour une analyse plus approfondie

Mine d’or minée pour les thérapeutes patentés

Un texte                                               le texte de ta peau irriguée
du sang des mots

Tu as tou­jours avec toi un petit cahi­er. le cahi­er tu
écris qu’il est impos­si­ble d’écrire dans cet état il
t’ar­rive par­fois de bégay­er des mots improb­a­bles dans une
langue incer­taine dans une syn­taxe schiz­o­phrène2Eric Dubois, Le Cahi­er, Le chant séman­tique

 

L’énergie print­anière et remar­quable­ment lumineuse des pre­miers textes invite le lecteur à suiv­re le fil des pen­sées du poète, avec, bien sou­vent, l’expression d’une ten­sion entre le réel et la per­cep­tion qu’en a celui-ci. Le sujet est tou­jours mis en abîme. L’être évolue dans un envi­ron­nement dans lequel il se recon­naît et/ou se perd. Dans les pre­miers vers d’Eric Dubois, tout comme dans  les derniers, la ténu­ité du poème n’économise pas le mot juste :  un moment de partage pure­ment humain, une com­mu­nion. Cette dimen­sion réflex­ive ne quit­tera pas l’écriture d’Eric Dubois.
Mais dans Entre gouf­fre et Lumière, la con­fi­dence se fait plus présente, les inter­ro­ga­tions plus pro­fondes, et le poète partage avec son lecteur ses doutes, ses craintes et des prob­lé­ma­tiques toute per­son­nelles, con­fi­dences qui évi­tent le ton bien trop empesé d’un lyrisme suran­né… Il s’agit d’une pos­ture réflex­ive, un dis­cours qui énonce sa pro­pre créa­tion en même temps qu’il rend compte de l’existence du poète.

Eric Dubois, Entre gouf­fre et lumière, L’Har­mat­tan, 2010, 69 pages, 10 euros 50.

Tu cherch­es la pauvreté

Dire l’essentiel

Des mots
Le lyrisme et ses fioritures

Dernières salves encore

Dire jeu
plutôt que je3Eric Dubois, Entre gouf­fre et lumière

 

Partagé entre une écri­t­ure poé­tique et sa réflex­iv­ité, Entre gouf­fre et Lumière mar­que un tour­nant dans l’oeuvre d’Eric Dubois…Fidèle à une syn­taxe sim­ple et pro­to­co­laire, il unit une écri­t­ure qui met en  abîme sa pro­pre créa­tion  à une dra­maturgie qui énonce encore des élé­ments du quo­ti­di­en, pré­textes à bross­er les états d’âme du poète.

 

Eric Dubois, Chaque pas est une séquence, édi­tions unic­ité, 48 pages, 11 euros.

Et l’été fume
Je bois ma mélancolie

A la ter­rasse des bars
Je ne fume plus depuis qua­tre ans

Je regard les pas­sants qui me regardent
Si je par­tais sans payer

Qui se cache der­rière les lunettes noires ?
Les mots ne font plus recette ?

Tou­jours prég­nante en arrière plan, dans les moti­va­tions à peine cachées,  ou bien énon­cées de manière explicite dans les poèmes d’Eric Dubois, nous est mon­tré l’envers du décor, celui d’une écri­t­ure poé­tique en recherche d’elle-même. Le dis­cours est aus­si celui d’un mil­i­tant act­if, qui porte la poésie, depuis tou­jours, la défend, et la promeut.

 

Un orage soudain
dans la nuit

Entre les tours
Une voix brisée

Est venue frap­per l’esprit
qu’on entend encore au loin

Les mots nous manquent
Et qui va dis­paraître4Op. Cit.

Si Entre gouf­fre et lumière mar­que un tour­nant dans l’oeuvre d’Eric Dubois, ses deux recueils suiv­ants pren­dront la direc­tion d’une poésie qui inter­roge le lan­gage, et n’hésite pas à ren­dre compte de sa pro­pre créa­tion. Une poésie de la matu­rité, qui tente de restituer en un dis­cours touchant jamais exempt d’éléments biographiques, les raisons de sa pro­pre exis­tence. Le vocab­u­laire, ici encore, reste sim­ple et explicite, tout comme la syn­taxe. Mais alors, com­ment existe cette poésie, créa­trice d’im­ages évo­ca­tri­ces d’un dis­cours qui mêle les traces d’un vécu lié intime­ment à sa rai­son d’être, l’écri­t­ure ? Il sem­ble que l’é­mo­tion, cette envolée per­mise par le texte lorsqu’il dépasse l’anec­do­tique pour énon­cer des arché­types, soit juste­ment le fruit de ce par­cours, celui du poète, car Eric Dubois est poète, avant tout, avant même d’ap­partenir au monde des hommes.

 

La peau du temps se retourne
massée sous le portes

Pierre dans la cohue du lichen
La pas­sion est mouvante

Les formes se complètent
habiles abstractions

Dans le vent les papiers dansent
avec l’outil des mots à la base du nerf

Le pâle éclat du matin se reflète
dans les yeux mornes des passants

Qui vivent dans un hôtel dont
les rêves éclaboussent le sexe du ciel5Op. Cit.

 

Eric Dubois énonce claire­ment ses moti­va­tions,  lorsqu’on con­sid­ère l’exergue d’œuvre du Cahi­er qui s’ouvre sur une cita­tion emprun­tée à Louis Aragon dans Le Paysan de Paris : 

 

C’est à la poésie que tend l’homme ; il n’y a de poésie
                                                                 que du concret

 

Chaque pas est une séquence, car la prég­nance de la vie dans la poésie, et de la poésie dans l’existence est ce qui façonne l’œuvre du poète.

 

Chaque pas est une séquence

Il y a le mot comme au pied des choses
pour caler la phrase

La langue un départ

La pluie un chasseur
quand le mot devient une chose

La langue est un dédale

Chaque homme est un nuage

Le livre à venir s’ouvre sur le silence

Il y a tou­jours un regard attaché à un autre regard
s’il n’est pas brisé6Eric Dubois, Chaque pas est une séquence

 

 

Et c’est, enfin, avec Langage(s), qu’Eric Dubois atteint un palier qui offre à son écri­t­ure une dimen­sion sup­plé­men­taire. Je me per­me­t­trais d’y voir une sorte de man­i­feste poé­tique, dans lequel le poète nous livre ses réflex­ions sur le tra­vail de la langue et sur la trame pluri-dimen­sion­nelle du poème. Jouant avec l’espace scrip­tur­al et les typogra­phies, il se sert désor­mais de ces deux élé­ments pour soutenir des réflex­ions  sur ce qu’est “écrire”…

D’une écri­t­ure qui con­voque une vision du réel trans­fig­urée par le tra­vail de la langue, Eric Dubois a atteint sa matu­rité poé­tique et nous en restitue l’essence, dans Langage(s). Le change­ment, pro­gres­sif et sub­til transparaît dans un emploi de champs lex­i­caux qui ren­dent compte de sujets encore jamais abor­dés. Dans un emploi syn­tax­ique plus savam­ment orchestré par des scis­sions et des accole­ments de vers, Eric Dubois, out­re le fait d’intégrer l’espace scrip­tur­al à la pro­duc­tion de sens, évoque alors des prob­lé­ma­tiques qui mènent le lecteur dans des univers inédits. C’est le tra­vail du temps, de l’existence, enfin ren­du pal­pa­ble grâce à une poésie sub­tile et révéla­trice de sa pro­pre existence.

 

 

 

Eric Dubois, Lan­gages, édi­tions unic­ité, 2017, 57 pages, 12 euros.

Des tous pre­miers écrits, qui pro­posent une vision du réel tein­tée de sub­jec­tiv­ité, au déploiement d’une poésie qui prob­lé­ma­tise l’emploi du lan­gage, et inter­roge l’espace de l’écriture, sa pos­si­ble per­méa­bil­ité à une tran­scen­dance souhaitée, et recher­chée depuis tou­jours par le poète, Eric Dubois nous offre  la mat­u­ra­tion d’un face à face avec lui-même, poète, celui-là même qui émerge, et dis­paraît der­rière le tra­vail ver­tig­ineux de la poésie qu’il nous offre .

 

Ecrire c’est tutoy­er la mort

Dire l’im­pos­si­ble

Ecrire ou mourir

On laisse des mots en héritage

 

On partage le sen­si­ble avec les mots qu’on isole dans des
cages

vides

 

Ajuster le pourquoi et le com­ment    Inter­roger l’espace

 

Quelque chose qui ressem­ble à un départ promet l’aube
claire

met de la couleur au monde et de la tristesse aux arbres 

Quelque chose comme les dents du ciel

Quelque chose comme les bruits de RER

On met tou­jours des mots au corps

des mots au présent

des mots à la présence charnelle

aux vête­ments des malades

 

Et puis, je laisse de côté toute vel­léité d’analyse, d’in­ter­pré­ta­tion, tout désir de ren­dre compte des textes d’Eric Dubois, parce que j’ai ce désir de partager avec vous ce qu’est la poésie, qui est com­mu­nion, au-delà du lan­gage. Alors, voici :

 

 

Cristallisation du désir et hommage
amoureux

 

Je te sais assise active assise active dépen­dant des saisons 
dépen­dant des saisons de leur cours imper­turbable de leur
cours imper­turbable et pen­dant que tu marchan­des tes
derniers strings pour quelques lin­gots d’or dans quelques
marchés aux esclaves nous sommes tes amoureux captifs
tes amoureux cap­tifs tou­jours en quête de ton amour de
ton amour et d’un retour d’af­fec­tion mais tu ne nous
écoutes pas occupée à marchan­der ta lin­gerie fine dans
quelques souks tu ne nous écouteras pas désireuse de faire
le com­merce de tes charmes à quelques séniles 
impuis­sants et pro­thé­sistes den­taires tu ne nous écouteras
pas non  tu préfères te ven­dre tu ne nous écouteras pas tu
sais pour­tant que nous t’ai­mons pour ce que tu es et pour
ce que tu représentes aus­si l’amour faite femme l’amour et
je te sais assise active assise dépen­dant des saisons
dépen­dant des saisons de leur cours imper­turbable de leur
cours imper­turbable et pen­dant que tu marchan­des tes
derniers charmes pour quelques son­nants et trébuchants
nous nous mor­fon­dons de désir d’un désir coupable certes
mais véri­ta­ble que peut faire la alerte impuis­sance face à la 
fémi­nine assur­ance que tu déploies
jour après jour avec tant d’én­ergie sas cesse renouvelée
rien dites vous et vous avez rai­son rien absol­u­ment rien et
nous pou­vons tou­jours croire à des lende­mains meilleurs
avant le pass­er du rideau final oui mous pou­vons espérer
tou­jours ton retour.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

Notes[+]