Un recueil de quar­ante et un textes, une métrique irrégulière mais qui pro­pose des vers fidèles à la rime, majori­taire­ment courts et déployés en milieu de page, cha­peautés par des titres qui présen­tent dès l’abord le champ séman­tique  d’une énon­ci­a­tion lyrique.  Les pronoms per­son­nels des pre­mières et deux­ième per­son­nes du sin­guli­er au sein de l’appareil tutélaire sig­na­lent en effet la tonal­ité des thé­ma­tiques abor­dées par l’auteure : ce recueil est l’espace d’une parole poé­tique assumée par un énon­ci­a­teur qui, avec une sim­plic­ité cristalline, nous offre  le témoignage de son expéri­ence. Mais s’annonce égale­ment dans la présence des nom­breuses références bibliques qui enca­drent les poèmes l’envolée spir­ituelle qui con­fère à ces élé­ments fac­ti­tifs une dimen­sion mys­tique et transcendante. 

    Au fil des vers le lecteur est invité à partager les con­fes­sions intimes de l’auteure, qui se livre à une évo­ca­tion rétro­spec­tive des événe­ments mar­quants qui ont jalon­né son exis­tence. La soli­tude, l’amour per­du et l’enfant dis­paru s’énoncent au gré des vers, et sont réu­nis dans « Nuit »,  qui sonne comme le bilan de ces étapes de vie :

 

« L’aube s’est lev­ée sur ma nuit.
Le soleil n’a pu chasser
les nuages de mon cœur,
lourds de mon amour déçu,
lourds de mon amour perdu.

Je n’ai pas su aimer.
Je n’ai pas su retenir
l’amour qu’il me don­nait à profusion,
amour créa­teur, amour source…

L’arbre de vie s’étiole lentement ;
Cica­trice fer­mée sur cet enfant mort
Avant même d’avoir vu le jour.
Le berceau inhabité
ne ver­ra jamais naître l’esprit.

Jamais ?... »

 

 

    Omniprésente au par­cours de Françoise Henault-Guer­rand la mort se des­sine aux par­a­digmes de plusieurs textes. Ce témoignage poignant d’une douleur inaltérée par le temps porte l’affirmation du pou­voir incan­ta­toire du verbe. Ain­si « Tu as pris la route », « Bon­jour, Madame », et « Sur la mort d’un enfant » met la parole poé­tique au ser­vice de l’énonciation d’un dis­cours anec­do­tique, mais lui per­met aus­si de dépass­er le champ de la sphère per­son­nelle grâce à l’évocation d’un dépasse­ment mys­tique. Le poète nous invite à le suiv­re au-delà des épreuves qui, tran­scendées grâce à sa  pos­ture spir­ituelle, devi­en­nent chemin menant à Dieu.

 

« Petit homme,
depuis cet esti­val matin
où la mort a cueil­li tes dix ans,

….

Tu as franchi le seuil,
Tu as quit­té le pays des ombres
Pour celui de la lumière. »

 

 

    Nous sommes ain­si con­viés à suiv­re Françoise Henault-Guer­rand sur le tracé de son par­cours, dont elle des­sine avec une dig­nité et une sincérité si poignantes les con­tours. Et  n’y enten­dre que la voix d’effusions intimes serait pass­er bien loin de l’intention de l’auteure. Grâce à des dis­posi­tifs formels et séman­tiques l’écriture s’affirme comme un moyen de tran­scen­der l’expérience per­son­nelle. A tra­vers les vicis­si­tudes  de son exis­tence le poète ren­con­tre Dieu et les étapes de sa vie devi­en­nent alors march­es gravies vers la fer­veur. Elle nous invite à partager la lim­pid­ité de son regard car elle con­fère aux épreuves tra­ver­sées un car­ac­tère ini­ti­a­tique. Syn­thèse du pro­pos de l’auteure, et faisant référence aux titres des deux par­ties, « Vent du Sud, Vent d’Ouest » et « Vent du nord, vent d’Est »,  « Je chanterai la vie » énonce cette ambi­tion de dépasse­ment  et con­fère à la parole poé­tique un car­ac­tère incantatoire.

 

« Au coin de la rue des qua­tre vents,
Au car­refour indé­cis du fini et de l’infini,
Dans cette terre rav­agée par la douleur,
J’ai ren­con­tré la mort.

J’ai vu les mains de la mort
Caress­er le vis­age pâli de ma mère,
Nouer ses doigts en une ultime prière,
Envelop­per son corps
Du drap blanc de l’absence.

J’ai enten­du le chant lancinant
De la ténébreuse sirène :
Elle chan­tait la mélopée
De la désespérance.

Mais moi,
Moi qui n’ai pas vu son visage,
Moi, le rési­dent de la terre
D’où jail­lis­sent les sources,
Je chanterai la vie,
Je célèbr­erai la vie
En son infini­tude. »

 

 

     Et cette  ren­con­tre avec Dieu qui ouvre à une lec­ture tran­scen­dante et mys­tique de l’existence est annon­cée par l’épigraphe d’œuvre. Ce chant d’amour que l’auteure voudrait unifi­ant pour l’humanité n’est autre que le lieu de la parole poé­tique. Et par-delà les vicis­si­tudes et les épreuves la voie nous est montrée :

 

« « Fais de ta plainte un chant d’amour
pour ne plus savoir que tu souffres »

Proverbe touareg » »

 

    Les dis­posi­tifs formels sou­ti­en­nent cette volon­té de con­fér­er aux textes du recueil la tonal­ité d’un dis­cours liturgique. Faisant écho à l’épigraphe d’œuvre d’autres cita­tions placées avant ou après les titres des poèmes soulig­nent le car­ac­tère incan­ta­toire de la parole poé­tique. Les références placées en exer­gue et qui met­tent à l’honneur les textes  bibliques ren­for­cent l’effet des nom­breuses phras­es en italique qui jalon­nent l’intégralité du recueil. Ain­si de cette prière insérée dans le texte qui offre un écho à la voix du poète :

 

« « Priez pour nous,
main­tenant et à l’heure de notre mort. »

Les doigts de la vieille femme
egrè­nent inlassablementl
les per­les du chapelet.

« …Main­tenant et à l’heure de notre mrot . »

Les lèvres bal­bu­tient les mots usés,
Le corps se bal­ance doucement,
Enfance retrou­vée.

« …Main­tenant et à l’heure de notre mort. »

Femme,
Pour qui cette prière sans fin,
Où présent et avenir se confondent ?
Quand son­nera cette heure
Si sou­vent invoquée,
Désirée et red­outée tout à la fois ?

« …Main­tenant et à l’heure de notre mort. » »

 

 

    Au-delà de son témoignage poignant Françoise Henault-Guer­rand nous invite à la suiv­re sur le chemin qui l’a menée vers Dieu. Tran­scen­dant les épreuves qui ont jalon­né son exis­tence, elle con­fère à la parole poé­tique, insérée dans un dis­posi­tif formel et par­a­dig­ma­tique qui  lui offre une portée mys­tique, un car­ac­tère incan­ta­toire. L’expérience per­son­nelle fait sens car elle mène à l’ultime ren­con­tre, celle de l’humanité avec Dieu. Ain­si suiv­re le poète mène à  cet amour universel.

 

 

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.