Toutes les facettes de « l’étonnement » — à enten­dre au sens fort qu’il avait dans la langue clas­sique où éton­ner sig­nifi­ait « ébran­ler comme par la force du ton­nerre » — voilà le menu de cette livrai­son de Poésie/première qui sert, on le voit à la lec­ture, une poésie et une réflex­ion des­tinées à sec­ouer, sur­pren­dre, ouvrir aux yeux et aux cœurs du lecteur/poète une réal­ité tran­scen­dant l’expérience quo­ti­di­enne d’un réel homo­logué par la rai­son, et bridé par une langue servile et cloisonnante.

C’est donc fort juste­ment par un dossier d’Eric Sivry sur que s’ouvre ce numéro : l’auteur est le fon­da­teur, avec Sylvie Biri­ouk, du mou­ve­ment « intuitiste »1 Recours au poème a annon­cé en févri­er le col­loque  tenu à l’u­ni­ver­sité de La Sor­bonne : https://www.recoursaupoeme.fr/actualites/journee-detude-internationale-laventure-intuitiste/ , offi­cielle­ment né le 2 sep­tem­bre 2000.

 Poésie/première, poésie et lit­téra­ture, n 72, « L’étonnement tou­jours » — dossier : l’intuitisme. décem­bre 2018, 112 p. 16 euros. (trois numéros par an, https://www.poesiepremiere.fr/poesie-premiere.html

Un mou­ve­ment lit­téraire, au siè­cle de « l’après lit­téra­ture », n’est-ce pas une gageure, quand il sem­ble que tout ait déjà été écrit, que toutes les pistes esthé­tiques, formelles… aient été explorées ? Eric Sivry réfute l’ar­gu­ment et dis­tingue ce mou­ve­ment par­ti­c­uli­er de la démarche philosophique intu­ition­niste de Kant ou Berg­son, qu’il cite comme étant proches, tout en revendi­quant la sin­gu­lar­ité de la démarche intuitiste, et en évo­quant poètes ou pein­tres dont l’art dans le passé même allait déjà dans ce sens (Coleridge, Rilke, Char… Gao Xingjian et j’en passe) sans qu’ils s’en revendiquent, évidem­ment. Il s’a­gi­rait donc, me sem­ble-t-il, de don­ner « corps » à une façon de créer préex­is­tante et jusqu’i­ci sans statut (sauf peut-être celui – éculé — de « l’in­spi­ra­tion » et du souf­fle des Muses).

Après un instant de brève réti­cence, il faut con­stater que la déf­i­ni­tion pro­posée de la démarche en fait un espace de totale lib­erté et décrit l’intuitisme comme un mou­ve­ment à la struc­ture flu­ide revendi­quant « un art de la sen­si­bil­ité s’exprimant avec une spon­tanéité qu’il n’est pos­si­ble d’obtenir qu’après un long tra­vail. Ces­sons de penser l’art comme une inten­tion » , val­orisant par ailleurs la porosité des pas­sages entre les gen­res (ain­si évoque-t-il la « nou­velle épopée » vers laque­lle ten­dent les artistes adhérant à ce mou­ve­ment, épopée qui se définit entre autres par le mélange intu­itif des types de vers, le règne de l’intuition, l’insertion de l’intime et de l’autobiographique dans l’épique, l’alternance du sur­na­turel et du réel) autant qu’en­tre les dif­férents arts – pein­ture, sculp­ture, ciné­ma… — aux­quelles s’a­joute la tra­duc­tion, pour une fois érigée en pra­tique artis­tique élargie à une con­cep­tion trans­dis­ci­plinaire (fait-on d’ailleurs jamais autre chose que « traduire » lorsque l’on crée, ou com­mu­nique ?) Et toute œuvre, élaborée au cours d’un dia­logue (plus ou moins con­scient) entre auteurs et pen­sées qui s’enrichissent mutuelle­ment – fon­dant ain­si la pos­si­bil­ité d’un espace « pluri­artis­tique » 2voir aus­si https://intuitisme.wordpress.com cette tra­duc­tion élargie n’est-elle pas d’une cer­taine façon aus­si une forme de com­men­taire, ce genre trop sou­vent nég­ligé, et pour­tant plus impor­tant qu’il n’y paraît dans l’histoire lit­téraire, auquel l’in­tuitisme redonne enfin la place qui lui revient,

L’article en out­re four­nit une liste d’artistes ayant rejoint le mou­ve­ment, ain­si qu’une sélec­tion de poèmes intuitistes, ce qui per­met de mieux cern­er ce qu’il recouvre.

Le dossier se com­plète d’une série de con­tri­bu­tions par­mi lesquelles je retiens l’ar­ti­cle d’An­dré Wexler don­nant sa déf­i­ni­tion de la poésie comme « œuvre de con­nais­sance » dégagée de la pen­sée dis­cur­sive : « la poésie comme toute forme d’art doit don­ner à voir, entendre,toucher, sen­tir, goûter» les choses elle-mêmes, en dehors de la langue « tyran » dont il faut se dégager, qu’il faut se réap­pro­prier pour retrou­ver une « har­monie naturelle » qui dépasse le dik­tat de l’or­dre — arti­cle auquel fait écho un entre­tien de Jacque­line Persi­ni avec Pierre Solet­ti, poète-per­formeur, inti­t­ulé « Dans le vif de la vie, un poète », où l’in­ter­viewé se définit hum­ble­ment comme « oeu­vri­er : celui qui œuvre et crée comme un ouvri­er », tout en val­orisant la puis­sance du col­lec­tif dans cet « oeuvrage ».

On cit­era aus­si l’ar­ti­cle de Gérard Mot­tet dont le titre « L ‘Inat­ten­du » sert de cou­ver­ture à ce numéro : il y déclare que l’écri­t­ure de la poésie est « trans­mis­sion de l’é­ton­nement » non pas face aux objets que décrivent les sci­ences, mais plus pro­fondé­ment, ces choses qui « ne sont pas claires » et pour lesquelles « le poète nous laisse entrevoir quelque unité cachée, quelqu’in­vis­i­ble pro­fondeur, là ou la logique aus­si bien que la prose quo­ti­di­enne, demeu­rant à la sur­face des choses, s’évertue à dis­tinguer, à dis­soci­er, à opposer. »

On ne s’é­tonne pas d’y lire aus­si — tous abon­dam­ment illus­tré de cita­tions — un por­trait d’Anne-Lise Blan­chard en « poète nomade » au tra­vers d’une lec­ture par Guy Chaty du recueil Le Soleil s’est réfugié dans les cail­loux, celui d’Al­bert Strick­ler, « poète des cimes » selon Lud­mi­la Pod­koso­va, et une analyse de Démem­bre­ment, d’Em­manuel Mer­le par Murielle Camac, où l’on retient l’at­ten­tion portée à la mémoire et à l’acte de « nommer”.

Cette riche livrai­son présente aus­si le tra­vail d’E­va-Maria Berg à tra­vers l’un de ses poèmes de com­bat pour la mémoire de l’Holo­causte, présen­té par Mar­tine Moril­lon-Car­reau (tra­vail dont Recours au Poème se fait régulière­ment l’é­cho) ain­si qu’un flo­rilège de poètes con­nus ou débu­tants dont le choix séduit, mais aus­si une nou­velle (rubrique récur­rente) et une belle sélec­tion de notes de lectures.

Il ne reste plus à nos lecteurs qu’à se pro­cur­er ce numéro.

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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021

Notes[+]