Acep Zamzam Noor, Ailleurs des mots
La poésie d’Acep Zamzam Noor, poète javanais, dont le nom évoque “à la fois la source de Zamzam, eau de la Mecque que la tradition considére comme miraculeuse, et la Luumière (Noor)”, est ici traduite pour la première fois de l’indonésien en français, et à découvrir dans un tout petit volume de format italien, en édition bilingue, précédée d’une riche introduction (accompagnée d’une bibliographie d’une vingtaine de titres). Elle propose au lecteur des poèmes regroupés en quatre volets, abondamment annotés, tirés des recueils et du blog de l’auteur.
Je ne connais pas l’indonésien, mais une série de remarques sur la prononciation de cette langue, écrite dans un alphabet latin, m’ont permis de lire les textes en “VO”, avec le plaisir de mettre en bouche des sonorités qui – même très probablement approximatives – complètent sensoriellement la lecture des belles traductions d’Etienne Naveau.
Acep Zamzam Noor
Le père d’Acep Zamzam Noor possédait un pesantren – type d’établissement d’enseignement entre école coranique et monastère chrétien ou boudhique dans une toute petite ville à l’ouest de Java. Après des études d’art, et l’obtention d’une bourse du gouvernement italien, l’auteur poursuit ses études à Peruggia, et mène ensuite en Indonésie une double carrière de poète et de peintre. Son enracinement dans la culture musulmane et agraire, nous dit Etienne Naveau, marque son oeuvre poétique, qui reflète ses aspirations mystiques – faisant de lui une sorte de maître spirituel dont la vie respecte ses exigences éthiques, “à distance des puissants”, entièrement dédiée à la création artistique – et engagée contre la corruption des élites autant que contre le fanatisme religieux, produisant même des poèmes-pamphlets qu’il n’hésite pas à coller sur les murs de sa ville.
La petite anthologie (45 poèmes) présentée dans la collection que dirige Christine Raguet, s’attache toutefois exclusiment au versant lyrique de sa poésie; Elle s’ouvre par un poème intitulé “Ma Voix”
“Ma voix n’est que l’écho d’un silence ayant sa source au loin”. Qu’il parle du quotidien
Le trafic automobile, l’activité, la frénésie
Accompagnés d’un vacarme à m’écorcher les oreilles
Par la fenêtre du bus où je suis souvent écoeuré
En constatant l’intensité des luttes (…),
de la nature,
La rosée lentement s’évanouit et les feuilles de bananier flottent
Comme des étendards déchirés qui restent joyeux et s’inclinent
Devant la volonté du vent du nord ou du sud, ou même de la pluie (…)
de l’amour auquel il aspire,
Puis je bois le silence
A ta bouche
Blême et tremblante
Tout en me demandant :
Est-ce l’amour? Est-ce bien l’amour?
Acep Zamzam prolonge la tradition de la poésie mystique musulmane, en quête de l’Absence, tout comme la pensée soufie, ainsi que l’explique fort bien l’incontournable préface où le traducteur analyse aussi les choix lexicaux du poète, précise les ambiguïtés et les défis de traduction qu’il a dû relever, les modifications syntaxiques qu’il a choisies pour des raisons d’euphonie, et souligne les références culturelles qui manquent au lecteur occidental.
Ce recueil, placé sous l’égide de “l’ailleurs des mots”, me semble contenu dans la belle métaphore filée liant pratique poétique, quête d’Amour, et infini voyage, avec laquelle je voudrais conclure cette note :
Je dors étreignant ma barque
En rêvant de toi faisant voguer les étoilesVers mes genoux. Des vagues
De larmes ruissellent dans mes prièresJe consigne tout ce que le vent murmure
Je lis tout ce que le froid me transmettaitJ’avale jusqu’au fond de l’aube un clair de lune:
Si prompts sont les coursiers de la fin des temps
à me barrer la route en ce mondeL’océan embrase à nouveau l’horizon
Tu es la clarté du matin qui perpétuellement se lèveJ’étreins ma barque. Le temps
page après page emporte mes jours
*
Federico Garcia Lorca, Polisseur d’étoiles, oeuvre poétique complète
Un petit mot encore sur une publication dont nous avons proposé des extraits en février : “le” Garcia Lorca de Danièle Faugeras.
En format réduit (10,5x15cm) – un peu trop épais toutefois pour vraiment entrer dans la poche de votre jean, avec ses 1142 pages, mais maniable et résistant — sous son élégante jaquette de papier cristal, imprimé sur un très beau papier glacé, illustré d’encres d’Anne Jaillette en frontispice de chaque chapitre, cette anthologie (suivie de notes, notices bio-bibliographiques et d’un sommaire détaillé) est une sorte de “Rolls” de l’édition au format de poche.
Danièle Faugeras accomplit le tour de force de nous proposer la toute première traduction versifiée de l’oeuvre intégrale du poète hispanique, faite d’une seule voix – la sienne. Celle d’une amoureuse de la langue espagnole, et du poète – restituant par son unité quelque chose qui vibre à l’oreille du lecteur : une voix unique, malgré la grande variété des formes poétiques. L’appareil de notes, fort nourri, par ailleurs, permet également de comprendre les choix stylistiques de la traductrice, de resituer les poèmes dans leur contexte, d’élucider les références culturelles qui pourraient manquer au lecteur – une véritable publication universitaire accessible au grand public!
Du premier livre, publié en 1921, en passant par les Suites, les poèmes du Cante Jondo, le Romancero gitan, les poèmes new-yorkais et le Divan du Tamarit, (deux éditions postérieures à la mort du poète, victime de la répression anti-républicaine en 1936), la traductrice nous offre même des poèmes écartés des différentes publications et nous permet de retracer tout le parcours de Garcia Lorca, écrivain d’avant-garde (membre du mouvement Generación del 27 collaboration avec les surréalistes Bunuel et Dali pour Un Chien andalou… ), musiscien, ami de De Falla et grand connaisseur des mélodies et chansons populaires, écrivain génial — et torturé, mêlant les registres, rendant simple une poésie savante, tel ce Théorème dans le paysage :
Arbre de vent gris sur la mer parfaite.
A,B,C et D piquetés de corail et de craie.
La folie qui émane du mercure expectant
compense les branches bues
à l’intérieur de leur tube candide,
nuage immobile dans un tube de verre jusqu’au ciel (…)
redonnant aussi ses lettres de noblesse à un imaginaire enfantin et légendaire où passent saintes et cavaliers, tout un bestiaire nocturne, dans une Andalousie musicale et rêvée, créant une poésie surprenante de modernité dont témoigne ce “Caprice” qu’on lit comme un haïku :
Dans la toile de la lune,
araignée du ciel,
se prennent les étoiles
virevoltantes.
Une anthologie dont on voudrait tout citer, tant on a plaisir à y retrouver les poèmes connus de longue date, à y découvrir toutes les facettes de l’art de Garcia Lorca, et que je conseille d’ ajouter à toute bibliothèque de poésie !
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