Comment faire un numéro sur les créolités sans l’ouvrir à une artiste dont tout le parcours artistique et la biographie illustrent cette féconde mixité humaine et culturelle dont nous voulons rendre compte ?
Artiste de renom international, elle a exposé entre autres au Grand Palais, à la Villa Médicis, chez Agnès B, au Musée de l’OEA, au Fowler Museum, à la Halle Saint-Pierre… Pascale Monnin a aussi participé à la Biennale Dak’art ainsi qu’à la Biennale de Venise, et le Lowe Museum de l’Université de Miami présente un de ses mobiles dans la collection permanente. Ayant grandi et poursuivi ses études artistiques en Suisse, d’où sa famille est originaire, tout en faisant de fréquents séjours en Haïti, où elle est née, et dont elle parle parfaitement le créole.

Les voyages de Pascale Monnin, sa double appartenance culturelle, nourrissent une oeuvre multiple, dans laquelle son imaginaire complexe et sa fantaisie s’expriment à travers la peinture – où se déploient tendresse et harmonie – mais aussi gravure, sculpture, mobiles et installations. Ces dernières, davantages marquées par la violence du monde, mêlent projections d’ombre, jeux de lumière, matériaux divers, de récupération même, comme pour dire combien la matière du monde, même abîmée, salie, dégradée… peut être transformée en un objet de beauté et de réflexion : le travail de l’artiste est un travail profondément poétique en ce qu’il interroge des matériaux existants pour les transcender en une oeuvre temporaire (comme la vie) mais riche de perspectives ouvertes et de rêveries sur l’aile de l’analogie.
Pascale Monnin a été entourée toute sa vie par des artistes (ceux notamment de la galerie familiale : Mario Benjamin, Killy, SergineAndré, Louisianne St. Fleurant, Stivenson Magloire, Frantz Zéphirin et le sculpteur Camille Jean, dit Nasson, maître du recyclage ) : c’est naturellement qu’elle est devenue une personnalité éminente de la nouvelle école haïtienne, marquée par l’ouverture internationale de ses artistes, portant haut les valeurs et les traditions de l’île, dans des créations très contemporaines (on peut citer les peintres Mario Benjamin, Sergine Andre, Pasko, Killy, Duval-Carrie…)
Epouse du poète James Noël (dont des inédits peuvent être lus dans ce numéro) , elle fonde avec lui l’association culturelle Passagers des Vents en 2010 et en 2012 ils lancent la Revue artistique et littéraire IntranQu’îllités : ils oeuvrent ensemble pour l’épanouissement et la reconnaissance de la vie artistique de l’île.

Vol de nuit I, acrylique, papier sur toile, 60x30pces 153x76cm.
A travers ses oeuvres, Pascale Monnin témoigne de façon originale, avec humanité et tendresse, de la beauté de la vie, de la richesse des relations humaines et amoureuses,mais aussi des drames dus aux aléas climatiques, à la situation économique, sociale et politique de son pays – témoignage rendu plus terrible encore par la poésie émanant de son travail, tout inspiré des mythes de sa culture créole autant que par l’iconographie et les éléments de sa culture européenne. Attirée par le mystère et les symbolisme des religions, bien qu’elle même ne les pratique pas, l’artiste confiait, dans un entretien à Indigo Arts Gallery 1 :
These characters, these animals which live in my paintings are a little like gods, spirits of a mythology that belong to me. They whisper something that I cannot completely grasp, they speak of the living, of the dead. They speak about me, but their language is coded and I can’t quite understand them. Fellow travelers they are at times friendly, terrible, defenders or manipulators, they send back in mirror image wanderings, poetry and doubt.
Les installations :
A travers la variété de ses créations poétiques, d’apparence aérienne et ludique, Pascale Monnin suscite l’empathie du spectateur pour les situations dramatiques dont elle se fait le hérault.
Ainsi, dans la vidéo Pour le mémorial aux disparus du tremblement de terre, voit-on les moulages de visages d’enfants vivants au moment du tremblement de terre, pour interroger les disparus. Comme matériaux, le ciment et le fer, instruments de destruction massive lors du séisme de 2010 qui, associés à des miroirs cassés, brisés, reflètent la lumière, créent la beauté pour reconstruire des visages lumineux et solaires.
.
L’arbre dans lequel sont suspendues ces têtes est un “Mimi”, de son nom savant le “Pseudobombax ellipticum”, arbre qui, dépouillé de ses feuilles, fleurit en janvier. Chaque année ses fleurs roses salueront les disparus du 12.01.2010. Cette œuvre, réalisée grâce au support de la FOKAL, fut inaugurée le 12 janvier 2015 et la vidéo réalisée au Parc de Martissant à Port-au-Prince. En fond sonore, la captation de la commémoration du Tremblement de terre du 12 01 2015, organisée par Michèle Lemoine – le film est de Léa Todorov.

( MATTHEW : photo David Damoison)
Description : L’oeuvre se compose de 40 portes persiennes (2mx40cm x3cm), d’horloges en fonte, et de cables, ainsi que de 2 vidéos.
L’oeuvre Matthew évoque l’ouragan qui a dévasté le Grand Sud d’Haïti en 2016 : cette installation, construite au retour de Port-Salut, petite ville du Grand Sud d’Haïti, est faite des restes d’une maison soufflée par l’ouragan. L’idée était de créer une spirale ascensionnelle qui contrebalance les énergies destructrices et les convertisse en espoir. Elle est accompagnée de projections de petits films, faits par des drones, de la maison avant et après Matthew. La première version de l’oeuvre fut créée avec le soutien de Laboratorio Arts contemporains. Une deuxième version, créée pour la Biennale Dak’art, en 2018, présente au sol des ombres portées : ainsi, par contraste avec les portes qui s’envolent, elle créent une forme de lotus et appelle à la communication entre le sol, le bas, la nature, le passé, et le ciel, le haut, l’immatériel, le futur.
L’artiste explique son oeuvre intitulée La dette en évoquant le rêve qu’elle faisait enfant, et qui en est l’inspiration première :
Je suis assise à califourchon sur un gros poisson. Tout autour de moi la mer est fête de chiffres, orgie de nombres. J’ai une dette. La boule au ventre, je navigue avec la conscience que même si je passe ma vie à aligner les chiffres et les nombres les uns après les autres, je finirai par mourir bien avant de savoir combien je dois.
Par extension, Pascale Monnin l’applique à des cas particuliers : ainsi Haïti est le seul pays qui, vainqueur au sortir d’une guerre, paya le vaincu. La dette de l’indépendance (indemnité de dédommagement de 150 millions de franc-or ) sera payée jusqu’en 1952. (aujourd’hui, Haïti croule sous les dettes aux Banques et pays divers.)
On peut aussi penser au fait que certaines manières de compter les richesses montrent l’incapacité à arriver à un décompte juste.
Enfin, par extension encore :
que devons-nous à nos parents, que nous doivent-ils ?


Description : L”oeuvre se compose de têtes en béton, fer, et miroir, balance pour la canne à sucre, tableau.
Enfin, Ma chair et mes colibris est une installation kinétique très onirique qui présente, flottant dans des faisceaux lumineux, un ange fantasmagorique, qui abrite en son centre de minuscules colibris en papier mâché. Il déploie ses ailes immenses, faites d’un rideau de perles de cristal et de fil de fer, dont l’ombre immense se répercute sur les murs. Pascale Monnin en parle ainsi :
Ce mobile marque ma fascination pour la fragilité.
Les colibris, si petits et fragiles, sont pourtant doté d’une mécanique extrêmement puissante : Leur vol est impressionnant et leurs ailes peuvent battre jusqu’à 200 fois par seconde.
Fragiles et forts, comme les enfants dont les visages ornent cet ange de 2m50 d’envergure.
Notes
- lhttps://indigoarts.com/artists/pascale-monnin?qt-works_by_artist=1 [↩]

- Angèle Paoli & Stephan Causse Rendez-vous à l’arbre bruyère, Stefanu Cesari, Bartolomeo in Cristu - 3 février 2019
- Traduire Lake Writing de Judith Rodriguez - 3 février 2019
- Didier Arnaudet & Bruno Lasnier, Laurent Grison, Adam Katzmann - 4 janvier 2019
- “Poésie vêtue de livre” : Elisa Pellacani et le livre d’artiste - 4 janvier 2019
- Georges de Rivas : La Beauté Eurydice (extraits inédits) - 4 janvier 2019
- Elisa Pellacani : Book Secret, Book Seeds & autres trésors - 4 janvier 2019
- Un petit sachet de terre, aux éditions La Porte - 5 décembre 2018
- Wilfrid Owen : Et chaque lent crépuscule - 5 décembre 2018
- “Dissonances” numéro 35 : La Honte - 3 décembre 2018
- Luca Ariano : extraits de Contratto a termine - 3 décembre 2018
- Wilfrid Owen : Et chaque lent crépuscule (extraits) - 3 décembre 2018
- REVU, La revue de poésie snob et élitiste - 16 novembre 2018
- Apollinaire, Le Flâneur des deux rives - 5 novembre 2018
- Un Album de jeunesse, et Tout terriblement : centenaire Apollinaire aux éditions Gallimard - 5 novembre 2018
- “Apo” et “Le Paris d’Apollinaire” par Franck Ballandier - 5 novembre 2018
- Giancarlo Baroni : I Merli del giardino di San Paolo / Les Merles du Jardin de San Paolo (extraits) - 5 novembre 2018
- Sophie Brassart : Combe - 5 octobre 2018
- Michele Miccia – Il Ciclo dell’acqua / Le Cycle de l’eau (extrait) - 5 octobre 2018
- Alain Fabre-Catalan et Eva-Maria Berg : “Le Voyage immobile, Die Regungslose Reise” - 5 octobre 2018
- Revue “Reflets” numéro 28 – dossier spécial “Poésie” - 5 octobre 2018
- Florence Saint-Roch : Parcelle 101 - 5 octobre 2018
- Les Cahiers du Loup Bleu - 4 septembre 2018
- Sanda Voïca : Trajectoire déroutée - 4 septembre 2018
- Les Revues “pauvres” (1) : “Nouveaux Délits” et “Comme en poésie” - 4 septembre 2018
- Résonance Générale - 4 septembre 2018
- Pascale Monnin : la matière de la poésie - 6 juillet 2018
- D’Île en Elle : Murièle Modély, de “Penser maillée” à “Tu écris des poèmes” - 5 juillet 2018
- Créolités et création poétique - 5 juillet 2018
- La Revue Ornata 5 et 5bis, et “Lac de Garance” - 3 juin 2018
- Journal des Poètes, 4/2017 - 5 mai 2018
- “En remontant l’histoire” du Journal des Poètes - 5 mai 2018
- Patrick Williamson, Une poignée de sable et autres poèmes - 6 avril 2018
- Revue Traversées - 6 avril 2018
- Daniel Beghè, Manuel de l’abandon (extraits) - 6 avril 2018
- Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir - 2 mars 2018