Bien que dénon­cés depuis plusieurs décen­nies, les pro­grammes d’enseignement  de la lit­téra­ture per­pétuent la vision d’un monde majori­taire­ment mas­culin en matière de créa­tion – la femme étant idéale­ment le mod­èle,  la con­fi­dente et la Muse du créateur.

Cet ouvrage rap­pelle fort oppor­tuné­ment, en four­nissant exem­ples et  argu­ments, que les femmes artistes sont plus nom­breuses qu’il ne nous est don­né d’apprendre dans les manuels, mais qu’en out­re nom­bre d’entre elles ont mis leur art et leur tal­ent sous le bois­seau pour soutenir la car­rière de leur com­pagnon. On pense dans le domaine pic­tur­al au des­tin des « mus­es » de Picas­so – la car­rière brisée de Dora Maar – ou d’Ulrica Zorn, la « poupée » d’Hans Bellmer 1voir arti­cle de Philippe Thireau https://www.recoursaupoeme.fr/ruines-de-perrine-le-querrec-leblouissement/

Femmes artistes et écrivaines dans l’ombre des grands hommes, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion d’Hélène Mau­rel-Indart, Clas­siques Gar­nier, coll. « Masculin/Féminin dans l’Europe mod­erne », série XIXème siè­cle, 2019. 288p.

Ain­si que le souligne l’introduction, les femmes – ridi­culisées et traités de « bas-bleus » si elles se piquent de lit­téra­ture – sont entrées sur la scène intel­lectuelle, « de biais », sous des déguise­ments (comme George Sand), de façon anonyme – ou encore par délé­ga­tion, comme Colette avec Willy, à tra­vers l’œuvre du com­pagnon seul vis­i­ble sur la scène mondaine : et de citer entre autres Julia Daudet, Zel­da Fitzer­ald, Cather­ine Pozzi… On a peine à voir rap­pel­er le mépris qui mène un Lan­son, à la fin du XIXème, dans son His­toire de la lit­téra­ture française, à dén­i­gr­er jusqu’à Chris­tine de Pizan :

 la pre­mière de cette insup­port­able lignée de femmes auteurs à l’infatigable facil­ité et à l’universelle médi­ocrité  (p.12)

Le XXème siè­cle, quant à lui, s’il recon­naît l’existence de l’écriture des femmes, la can­tonne dans une sorte de limbes, sans lien ni com­para­i­son avec la « vraie » Lit­téra­ture – des mâles,  ain­si que le souligne avec un stupé­fi­ant mépris sous la « galanterie » qui recon­naît en par­tie leur exis­tence,  Jean de Larnac en 1929 dans une His­toire de la lit­téra­ture fémi­nine en France : 

J’aimerais enfin y mon­tr­er la con­ti­nu­ité de l’effort lit­téraire des femmes  et révéler, dans leurs œuvres, ce qui est pro­pre­ment féminin et en fait un ensem­ble fort dif­férent de la lit­téra­ture mas­cu­line (…) Les femmes seraient-elles donc impuis­santes à (…)trans­muer (leur sen­sa­tion directe) pour la trans­muer en une œuvre aux con­tours net­te­ment délimités ? 

CQFD : voici donc l’écrivaine can­ton­née aux domaines où « elle excelle » : « la cor­re­spon­dance, qui n’est qu’une con­ver­sa­tion à dis­tance, la poésie lyrique et le roman con­fes­sion, qui ne sont qu’un épanche­ment du cœur » (p. 13)

Le pro­jet salu­taire du livre que nous présen­tons – et qui donne son titre au thème de ce numéro de Recours au Poème, est donc de faire revivre les « voix  con­trar­iées » en soulig­nant les proces­sus d’occultation  et de dépré­ci­a­tion des œuvres féminines par une approche diachronique du statut de la femme dans notre société occi­den­tale. Eliane Vien­not con­sid­ère ain­si que cet « efface­ment » de la femme dans l’histoire lit­téraire est un phénomène his­torique­ment daté, qui « s’emballe » au 18ème siè­cle. Béa­trice Didi­er analyse de son côté les aspects his­toriques et soci­ologiques du nom d’auteur assigné aux femmes en lit­téra­ture, et à la place que lui accorde une « autorité » mâle dans le monde des let­tres … dégageant tout un ensem­ble com­plexe de sit­u­a­tions.  Les essais suiv­ants s’attachent à iden­ti­fi­er  des pro­fils de femmes et écrivaines dont les par­cours illus­trent les divers­es pos­tures qu’elles ont pu assumer pour exis­ter en tant qu’autrices.

 

 

D’abord les humil­iées, meur­tries par le « grand homme » qui les relègue à l’ombre  la comtesse Dash, « plume de rechange » d’Alexandre Dumas, Claire de Duras dont l’œuvre  — le roman Ouri­ka — est volon­taire­ment ignorée par son frère chéri, Chateaubriand ; Louise Col­let exclue de la vie lit­téraire et can­ton­née à la cor­re­spon­dance par Flaubert, Cather­ine Pozzi « sac­ri­fiée sur l’autel valéryen »… 

 

 

Ensuite, les « Mélu­sine » qui éri­gent pour l’histoire  la fig­ure de leur grand  homme et leur œuvre, revue par leurs soins : la néfaste sœur de Niet­zche, qui recon­figu­ra la Volon­té de Puis­sance pour en faire un out­il de pro­pa­gande nazie, ou du côté lumineux, Grace Frick créant la fig­ure mythique de Mar­guerite Yourcenar.

 

Les « sœurs, épous­es, amantes éman­cipées » sont aus­si évo­quées : Madeleine de Scud­éry, « l’illustre Sapho » qui se délivre de l’emprise de son frère, Marie Shel­ley, en Angleterre, Thérèse Huber dans l’Allemagne du XIXème siè­cle qui fut « nègre » de ses deux maris avant d’être veuve et auteur-autonome…  et au début du XXème siè­cle, Silv­ina Ocam­po qui ne dis­paraît pas dans son duo avec Adol­fo Bioy Casarès, ou encore  Ilse Gar­nier, poète spa­tial­iste avec son mari Pierre,  qui use de son prénom pour sor­tir de la dual­ité du cou­ple créa­teur avec le Bla­son du corps féminin 2voir ici l’ar­ti­cle de Car­ole Mes­ro­bian : https://www.recoursaupoeme.fr/ilse-au-bout-du-monde/ … Le cas de Suzanne Duchamp aus­si est évo­qué, fig­ure moins con­nue, rarement évo­quéee,  quoiqu’aussi active que ses frères dans le mou­ve­ment dada (auquel con­tribuèrent de nom­breuses femmes artistes)…

Comtesse Dash, Mémoires des autres

 

Madame de Duras, Ouri­ka, Gar­nier-Flam­mar­i­on

 

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Silv­ina-toma­do-por-Bioy-Casares-en-Posadas-1959

D’un grand intérêt, ces por­traits – faciles d’accès et agréables à lire – démon­trent que « rien n’est jamais acquis » à la femme qui écrit – ou crée : sa place, elle doit la con­quérir con­tre tout un sys­tème qui ne la can­tonne sans doute plus aus­si vis­i­ble­ment qu’autrefois, mais qui hésite encore à lui per­me­t­tre d’accéder à une même recon­nais­sance que l’écrivain (j’en veux pour preuve encore la si faible représen­ta­tion fémi­nine dans une insti­tu­tion comme l’Académie Française). Le livre s’accompagne d’une bib­li­ogra­phie et d’un index des noms pro­pres qui en font un out­il pour d’ultérieures recherches.

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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021

Notes[+]