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A Casa di a Puisia — maison sans murs de la poésie — entretien avec Norbert Paganelli

Si tous les chemins mènent à Rome, certains mènent à la poésie. C'est le cas en Corse, où la jeune maison de la poésie vient d'inaugurer, avec son président Norbert Paganelli, le Chjassu di a puisia – sentier de la poésie – initiative  reprenant le projet de la poétesse Sylvie Reffe, en Alsace, et dont l’objectif est de mieux faire connaître la création de poésie contemporaine-

A Casa di a Puisia di a Corsica s’est inspirée de cette idée pour mettre en valeur le patrimoine littéraire de l’île : la plupart des œuvres sont en langue corse, avec la traduction française, sans négliger l'ouverture envers le patrimoine artistique et linguistique commun. Voici donc l'occasion de découvrir cette maison singulière, à travers l'entretien que nous accorde son fondateur, Norbert Paganelli.

inauguration du chemin de poésie en Corse
Quand et comment as-tu rencontré la poésie ?
Une première rencontre eut lieu à l'âge de 13 ou 14 ans avec les poètes romantiques que je découvrais à l'école et par mes lectures vagabondes. J'y étais sensible, je tentais de les imiter mais je sentais confusément que cela ne passait pas, je pense que j'en avais conclu qu'on ne pouvait plus écrire de poésie...
La révélation est arrivée en classe de 1°, nous avions un professeur un peu vieillot mais qui était un très brave homme et qui avait compris qu'il fallait interesser la classe par un apport de sang neuf. il avait donc sollicité de jeunes étudiants qui préparaient de CAPES afin qu'ils puissent s'entrainer devant nous. Ces jeunes futurs profs nous ont fait découvrir Apollinaire, Supervielle, Ponge, le surréalisme...Ce fut un véritable choc pour moi ! D'emblée je compris que les véritables clefs qui me manquaient se trouvaient bien là, que la poésie n'était pas morte et qu'elle devait se vêtir d'une autre manière pour parler au monde contemporain. À partir de ce moment la poésie ne m'a plus quitté, elle est entrée dans ma vie et l'a bouleversée au point que je puis dire sans hésiter que je vis en poète 24h/24.
Peux-tu nous parler de ton parcours poétique et de ton engagement ? (en lien avec ton activité professionnelle, ton action politique, ton insertion géographique....?)
Dès mes 17/18 ans j'ai donc commencé à écrire une poésie que je qualifierai de "contemporaine" débarrassée des pesanteurs du "classicisme" (mètre régulier, rime, sujets traditionnels...). J'ai eu l'immense chance d'être présélectionné pour le Prix François Villon qui était, à l'époque, un prix prestigieux fondé par José Millas-Martin. Je n'ai pas obtenu le prix mais cela m'a conforté dans l'idée que j'avais trouvé ma voie (voix ?).
Mon premier ouvrage date de cette époque, il s'intitulait SOLEIL ENTROPIQUE et avait été publié par José Millas Martin. Je dois dire que mon engagement pour la poésie cohabitait avec un engagement politique très fort (je vivais à Paris et mai 68 n'était pas très loin). L'un de mes livres de chevet était : OUVREZ LE FEU de Tristan Cabral. Il y avait dans ses écrits toute la révolte de cette époque et j'y étais particulièrement sensible.
À l'époque, j'écrivais en langue française, l'idée d'écrire en langue corse ne m'a même pas effleuré mais ayant découvert les premiers ouvrages de Marie Ange Sebasti (qui me paraissait une vieille dame puisqu'elle devait avoir une trentaine d'années lorsque je n'en avais même pas 20...), je me suis demandé pourquoi, alors qu'elle célébrait la Corse, elle n'avait pas tenté décrire dans la langue de l'île. De cette langue, dont j'avais la maitrise orale, je n'en savais pas grand chose et je connaissais encore moins la production littéraire insulaire mais j'ai, de suite, tenté de combler mes lacunes. Je fus largement déçu par mes premières lectures : la poésie que je découvrais me renvoyait à une conception archaïque de cette dernière où "le temps d'avant" était magnifié d'une manière traditionnelle qui m'ennuyait très fortement. Mais, quelques temps après, je découvris les textes des fondateurs du Riacquistu (mouvement de réappropriation culturelle) : Jacques Thiers, Jacques Fusina, Lucia Santucci...Tous, avec leurs personnalités diverses, pratiquaient une poésie en langue corse qui, d'une certaine manière, cassait les codes anciens et ce fut une nouvelle révélation : je me devais, pour participer au combat pour la reconnaissance de la langue, écrire moi aussi en langue corse !
Si je ne connaissais pas encore la graphie de cette langue, je la possédais parfaitement car j'ai passé ma prime enfance avec mes grands-parents et que, par la suite, mes parents l'utilisaient au quotidien. Je ne l'ai pas "apprise", c'est elle qui m'a pris et depuis bien longtemps...
Vinrent ensuite les premiers textes, les premières plaquettes, les prix et les distinctions diverses qui ont confirmé que mes choix étaient les bons : ne pas céder aux slogans venus de la tribune, conserver ma liberté de jugement et de ton, justifier les nobles causes et l'élévation de la pensée sans tomber dans l'angélisme....
- comment ton activité poétique t'a-t-elle amené à créer une maison de la poésie. Celle-ci est singulière - puisqu'elle n'a (n'avait) pas de local dédié - peux-tu nous expliquer pourquoi ce choix, et comment elle fonctionne ? (nous parler de vos activités et projets, mais aussi très matériellement de la façon dont elle est gérée, les subventions, les bénévoles...)
À la fin de mon activité professionnelle, j'ai choisi de rentrer en Corse et de me consacrer à ma passion pour la poésie. Avec mon ami Henry Dayssol qui est un poète occitan résidant à Bastia, nous avons donc décidé de créer une association (PERFORMANCE) destinée à mieux faire connaitre la poésie d'ici et d'ailleurs. Nous avons donc sélectionné un certain nombre de textes, acheté un matériel de base (micros, amplis, lumières de scène...) et avons sillonné la Corse pour faire connaitre la création poétique contemporaine. Je crois que nous avons dû faire une bonne cinquantaine de lectures de ce type que ce soit en salle ou lors de balades au grand air. À plusieurs reprises nous avons même migré sur le continent.
Mais il me fallait autre chose, l'activité de PERFORMANCE devait déboucher sur quelque chose de plus ambitieux et c'est à ce moment qu'est née l'idée d'une maison de la poésie...
J'en ai parlé autour de moi, beaucoup étaient intéressés mais peu étaient vraiment décidés à passer à l'action si bien que mon idée est demeurée en jachère pendant quelques années et j'en étais arrivé à me demander si c'était réellement une bonne idée. Un jour, de manière fortuite, j'ai fait la connaissance de Gaston Bellemare qui pilote l'un des plus grands festivals de poésie au monde : le festival international de Trois-Rivières au Québec. D'emblée il me posa la question : "Mais comment se fait-il qu'il n'existe pas de Maison de la Poésie en Corse ?". J'ai réalisé alors qu'il y avait une nécessité et avec l'éditeur Jean-Jacques Colonna d'Istria, nous sommes allés rencontrer le responsable de ce secteur à la Collectivité de Corse qui nous avoua : "Nous attendions cette initiative, une telle structure manque à la Corse. Allez-y on vous soutiendra..."
Le problème c'est que nous n'avions pas de plan d'actions et qu'il fallait déposer un dossier de financement dans le mois...J'ai expliqué qu'il nous fallait un peu de temps et qu'il était préférable d'attendre l'an prochain..."Non, nous a-t-on répondu, c'est le moment ! Vous avez eu l'idée, n'attendez pas !" Nous nous sommes lancés en constituant rapidement un conseil d'administration et en imaginant un programme d'activités pour l'année.
Et la Maison de la Poésie est née...
Disons que la première année fut un peu chaotique puisque dès le mois de mars nos avons été confinés et aucune manifestation n'a pu avoir lieu au premier semestre...Nous étions décontenancés...tout tombait à l'eau avant même d'avoir commencé.
Un autre point mérite d'être mentionné : la Collectivité de Corse souhaitait que nous ayons un local dédié pour nos manifestations et ce n'était pas notre sentiment. Il y avait donc, malgré l'appui initial, une certaine incompréhension entre eux et nous.
Pourquoi cette volonté de ne pas avoir un local dédié ?
Avoir un local dédié c'est avoir une contrainte budgétaire forte (loyer, charges diverses...) et l'obligation de faire vivre ce lieu. Notre souhait était d'être partout en Corse, là où on pouvait nous offrir un espace, même modeste, comme c'est souvent le cas en milieu rural. On peut difficilement concevoir, dans le même temps, la mobilité et la sédentarisation qui aurait été à Ajaccio là où il existe déjà une offre culturelle conséquente...Nous avons réussi à convaincre nos interlocuteurs sur ce point et nous sommes donc une Maison sans murs ! Je crois que cela peut convenir aux poètes...
Le statut de A Casa di a Puisia est donc associatif...
Tout à fait, il y a un conseil d'administration que nous appelons le conseil stratégique composé de 33 membres venant d'horizons divers (peintres, sculpteurs, musiciens et...poètes, qu'ils soient originaires de Corse ou d'ailleurs et un bureau que nous appelons le conseil exécutif et ces deux instances font fonctionner A Casa di a Puisia. Le Conseil stratégique peut faire, tout au long de l'année des propositions qui sont agrégées par le Conseil exécutif et présentées en assemblée générale pour mise en oeuvre après validation. C'est aussi simple que cela.
Comment est financée la structure ?
La collectivité de Corse assure 50% de son financement, le reste est alimenté par des partenariats avec d'autres collectivités publiques ou privées et par nos fonds propres qui sont constituées des contributions des membres mais aussi de prestations facturées comme les animations dans les écoles, les balades poétiques dans les communes, les animations pour d'autres associations.
Quelles sont ses principales activités ?
Au bout de quatre années d'existence nous avons trouvé un rythme de croisière qui structure notre activité. Nous avons, en premier lieu, notre prix annuel qui comporte de sessions, l'une en langue corse et l'autre en langue française. Ce prix remporte un réel succès et il donne lieu à l'édition d'un recueil. Ensuite, la journée PUETISSIMU qui se déroule sur la côte orientale de l'île, dans le petit village de Ventiseri, est une rencontre entre le monde de la création musicale et celui de la poésie. Au cours de cette journée, les enfants des écoles de la microrégion sont associés et des récompenses remises. Nous installons également, chaque année, avec l'accord des communes choisies, des chemins de la poésie composés de panneaux inaltérables sur lesquels des textes poétiques rehaussés d'un motif tramé sont imprimés. Une dizaine de ces sentiers sont déjà installés et nous allons poursuivre notre effort. En fin d'année, à l'occasion de la remise officielle des prix, une rencontre entre poètes et peintres ou photographes est organisée, elle donne lieu à une exposition et à un spectacle scénique. Entre ces manifestations qui ponctuent l'année civile, quelques Cabarets poétiques viennent compléter le dispositif.
Des projets ?
Oui, bien sûr...nous avons commencé cette année à les réaliser mais nous devons les amplifier : premier projet : recevoir un poète en résidence, nous l'avons fait avec Maram al-Masri et ce fut un réel succès.
Nous avons également mis en place une master-class de lecture en public qui a été plébiscité... ce n'est qu'un début...
Il nous faut imaginer 3 axes de développement : mieux faire connaître la poésie insulaire à l'extérieur de la Corse, chercher une synergie avec les structures existantes et faire se rencontrer les éditeurs de poésie qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs... Tous ces projets sont déjà en gestation, le temps de l'avènement viendra.

 

 

 

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Printemps des poètes 2023 - Ventiseri - "Puetissimu"

Printemps des poètes 2023 - Ventiseri - "Puetissimu"

3ème anthologie - Printemps des poètes 2023

remise des prix, 3ème anthologie.

Norbert Paganelli et Maram Al Masri, invitée en Corse par A Casa di a Puisia, où elle a présenté son dernier livre « Elle va nue la liberté/Si ni va nuda a libartà », traduit en corse par Norbert Paganelli.