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Geneviève Raphanel, Temps d’ici et de là-bas

Le mot temps, par sa polysémie, n'explique pas, à la lecture du titre de ce recueil, les intentions de Geneviève Raphanel. Mais très vite, on se rend compte qu'il ne s'agit pas de la succession des saisons, du temps qu'il fait qui l'intéresse, mais bien le temps qui passe : elle explore le souvenir sans que les choses soient claires. De quel(s) souvenir(s) s'agit-il ? De quelle enfance ? Ça se passe quand, précisément ? Autant de questions qui restent dans réponses… L'enfant n'est jamais clairement identifié et ce n'est pas le pferd (mot allemand qui désigne un cheval) qui est d'une grande aide. C'est peut-être le mystère entourant le souvenir qui fait le charme prenant de ce long poème divisé en quatre chants. Geneviève Raphanel brouille volontairement les pistes (à moins que ce ne soit à son corps défendant) ; d'ailleurs n'écrit-elle pas (ce qui est plus proche d'une certaine vérité) :

Aller trouver quoi
dans des souvenirs non souvenirs
toutes brisées les âmes
(p.12)

 

Temps d'ici et de là-bas, Geneviève Raphanel, Editions Rougerie, 12€

Temps d'ici et de là-bas, Geneviève Raphanel, Editions Rougerie, 12€

Tout ne serait donc qu'une fiction ( ? ) : l'écriture est obsessionnelle tant Geneviève Raphanel entend traquer le souvenir :

Derrière le rideau de son lit
l'enfant épie le rituel
se fait encore plus petit

Fiction donc mais qui sait mimer la vraisemblance, mieux même qui cherche à retrouver la vérité (p 14). Une  vraisemblance qui n'ignore pas le doute comme elle l'écrit si bien à la page suivante : les pas s'arrêtent peut-être  "au bord du gouffre". Métaphore de l'écriture qui se mêle à la recherche du passé ? Et les soldats qui apparaissent ensuite donnent peut-être un indice quant à l'époque sans qu'on n'en sache plus : de quelle guerre s'agit-il ? De même qu'on n'en apprend guère sur "les flocons de l'enfance" à moins que tout cela ne soit qu'un rêve ("tu rêves / ton enfance" écrit Geneviève Raphanel, page 19). Au lecteur alors d'imaginer, d'inventer une cohérence en mettant bout à bout ces bribes. C'est que la mémoire est oublieuse, elle fait son tri, son choix :

Par-delà l'oubli
dure cet autre jour
(p.30)

Souvenirs de l'exode ou fantasmes explorés (p 38) ? Je ne sais...

Qu'avoue, mine de rien, Geneviève Raphanel dans ces poèmes équivoques ? Qui est cet enfant qui ne dit pas son nom, n'avoue pas ses rapports avec celle-ci ? On ne trouve nulle réponse dans ce recueil. Et ce ne sont pas ces vers "dans la pierre bleuâtre / bouche ouverte l'enfant / suit du doigt les signes" (p 49) qui aident à répondre à ces questions. Sauf, peut-être, ce tercet (p 52) "Tu es bien ici / ta tombe contre / la muraille"… Mais j'interprète et je me trompe sans doute… Quel est alors le sens de ce "cantique désinvolte" (p 54) ? Geneviève Raphanel s'affronte à l'horreur du temps qu'elle essaie de reconstituer. Reviennent, une fois le livre refermé, le temps comme personnage principal et "les enfants (qui) laissent l'ombre se rapprocher" (p 57). Sans doute est-il vain de vouloir chercher (et trouver) des indices autobiographiques dans ces poèmes ? Car Geneviève Raphanel écrit de merveilleux poèmes qui laissent le lecteur pantois ; elle n'en finit pas de chercher "le plus vieux souvenir".