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Anne MOSER & Jean-Louis BERNARD, Michèle DADOLLE & Chantal DUPUY-DUNIER

 

 

Anne MOSER & Jean-Louis BERNARD

Accueil de l'exil.

 

 Fidèle à son habitude, l'éditeur propose un livre de poèmes en deux parties : la seconde constitue une plaquette traditionnelle au bon sens du terme alors que la première est un libre jeu de superpositions : vers choisis de Jean-Louis Bernard et calligraphiés sur papier calque qui dialoguent avec les peintures tachistes d'Anne Moser… Si Jean-Louis Bernard est à la recherche du "langage du perdu", Anne Moser, quant à elle, étudie les rapports entre le vide et les taches de couleur…  Étrange dialogue donc entre une peinture rare, exigeante et une écriture complexe, torturée… À ce qui relève de "la stupeur originelle" pour le poète correspond "l'arrachement de l'origine"  pour la plasticienne…

Je ne sais pas si l'écriture prend appui sur l'espace suggéré des peintures et devient elle-même encre comme le dit la quatrième de couverture mais ce que je sais c'est qu'il y a là comme une façon de dépasser ce que la simple juxtaposition entre la peinture et la poésie peut avoir de gratuit. Et qu'à l'exploration du vide d'Anne Moser répond parfaitement cette écriture de l'exil qui est celle de Jean-Louis Bernard. Une rapide lecture d'Accueil de l'exil n'est pas sans poser une question essentielle : s'agit-il d'un long poème ou d'un recueil de poèmes ? Les poèmes apparaissant par le changement de page, dès lors qu'il n'existe pas de titres pour les poèmes, mais que chacun commence par une majuscule… Jean-Louis Bernard explore les interstices des rapports de l'être au monde. L'écriture devient alors accueil de l'exil, l'exil étant le nom donné à cette absence de coïncidence de l'être vivant avec lui-même. Poèmes donc qui constituent comme une patiente suite d'approches… "Les jours palabrent / le désert dit" écrit Jean-Louis Bernard ; pouvait-il mieux préciser sa démarche ? "Être juste  / le reflet d'une voix / en route calme / vers l'inexistence", ajoute-t-il un peu plus loin comme en écho au vide d'Anne Moser. Le poème peut alors bruire même s'il est question de rives blanches  / et de gués / pour des eaux incertaines. L'écriture reste tremblée (au-delà de sa précision) et s'emploie à capter ces sédiments troubles qui reposent sous l'innommé des songes.

La poésie de Jean-Louis Bernard est une poésie du peu, de l'instant sans nom. Et ce n'est pas le moindre de ses sortilèges.

 

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Chantal DUPUY-DUNIER & Michèle DADOLLE

Pluie et neige sur Cronce Miracle1

 

Cronce est un petit village d'Auvergne de moins de cent habitants, aux lieux-dits portant des noms pittoresques, où a vécu une dizaine d'années Chantal Dupuy-Dunier. Elle a écrit, à ma connaissance, deux recueils de poèmes inspirés de ce village, dont le tout récent  Pluie et neige sur Cronce Miracle alors qu'elle vit désormais à Clermont-Ferrand…

Comme le veut le principe de la collection (2Rives), quelques vers des poèmes sont soigneusement calligraphiés sur papier calque et viennent se superposer aux peintures abstraites de Michèle Dadolle. Ce qui constitue un premier cahier avant le texte proprement dit de Chantal Dupuy-Dunier… Mais ce qui fait le prix de ce cahier, c'est ce distique "Un jeteur de sorts a brandi vers les nues / ses mains translucides". Le mot du poète est en accord avec le travail de l'éditeur (et de Michèle Dadolle) ; il fallait remarquer cette coïncidence trop rare pour être oubliée… Translucide fait d'ailleurs écho à cet autre vers (une citation ?) : "C'est mon sang transparent versé pour vous". Le travail du peintre n'en prend que plus de valeur : le lecteur sent alors qu'il n'y a rien de gratuit dans cette démarche entre les deux complices, que Michèle Dadolle a traduit par la couleur et par la forme ses impressions de lecture…

Le titre dit tout l'amour que porte Chantal Dupuy-Dunier à ce village : Cronce Miracle, dont il faut noter le M majuscule. Vivre à Cronce est un miracle, la pluie et la neige sont un miracle toujours renouvelé. Ce qui est une façon d'exprimer l'amour car si la neige transforme le paysage jusqu'à le rendre féerique, la pluie reste désagréable même si elle est nécessaire au renouvellement de la vie. Cronce n'est pas un village sans habitants. Les poèmes montrent là "une femme aux yeux jaunes" qui se souvient de la "verge de l'amant", ailleurs des "hommes qui se pensaient riches de vivre là". Mais Chantal Dupuy-Dunier ne s'arrête pas aux humains car les arbres sont aussi des habitants, eux qui sont "les veines du monde". On a là un bel exemple de vision cosmique, comment un minuscule village devient le symbole de l'universel. Un poème dit parfaitement que Cronce est une impulsion pour écrire : "Parmi les soleils inconnus d'autres galaxies, / nous pourrions découvrir / tant de nouvelles phrases, / de nouveaux mots dont ceux-ci / ne sont que les ombres ou les reflets"… Mais Chantal Dupuy-Dunier pèche peut-être par modestie car, c'est elle qui parle plus loin : "Avec mon stylo pour burin / je sculpte le marbre de la neige".

Elle  renouvelle l'art de dire la vie près de la nature, à la campagne. Ainsi l'éphémère se grave-t-il dans le marbre.

 

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1 - Ce recueil a fait l'objet d'une précédente recension dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/fil-de-lecture-de-marilyne-bertoncini-nouveaut%C3%A9s-des-2rives/marilyne-bertoncini